Séville métisse

Le lieu est somptueux : il fait nuit sur le patio de la Montería (la cour des Chasseurs), tout en arcades, au coeur de l'Alcázar de Séville, dominé par la silhouette illuminée de la tour de la Giralda toute proche. Les accords de guitare de Paco de Lucía enrobent la projection, sur la façade du palais de Pierre Ier " le Cruel ", de diapositives évoquant l'Andalousie du XIVe siècle, l'époque d'Ibn Khaldoun (1332-1406). Le plus célèbre historien arabe constitue l'axe de l'exposition installée jusqu'à fin septembre au coeur de cet Alcázar qui est l'expression la plus achevée de l'art mudéjar, symbole de l'intrication des cultures hispanique et arabe.Symbiose réussie. C'est d'ailleurs la symbiose entre les deux rives de la Méditerranée qui est le fil rouge de cette exposition qui, selon l'expression ironique de son commissaire scientifique, Rafael Valencia, se veut " résolument anti-Huntington ", le propagandiste du " choc des civilisations " à la mode à Washington. Organisée par la Fundación del Legado Andalusí, dépendant du gouvernement régional andalou, qui la prépara durant trois ans, l'exposition - qui offre pour la première fois le privilège de déambuler de nuit dans l'Alcázar - compte une centaine de pièces (sculptures, stèles funéraires, manuscrits et incunables, tapis, monnaies, objets militaires...) qui brossent un panorama de l'Andalousie de l'époque, dite al-Andalus par les Arabes qui y furent présents durant huit siècles. Accompagnée de grands tableaux chronologiques et d'un montage audiovisuel, elle veut également établir un état des lieux de la culture arabe de l'époque.Hymne à la coopération. Le parcours se poursuit tout au long de l'Alcázar, notamment dans sa partie la plus noble, le spectaculaire palais de Pierre Ier de Castille, qui devient ainsi partie intégrante de l'exposition, dont il symbolise d'ailleurs l'esprit : palais construit par un souverain chrétien mais selon les canons artistiques de l'islam, avec ses galeries bordées d'inscriptions en arabe rappelant qu'" il n'est de vainqueur que Dieu "... un Dieu qui peut être tout aussi bien Allah que Jésus...Ibn Khaldoun lui-même apparaît comme le chantre de cet hymne à la coopération entre les deux rives de la Méditerranée. Né à Tunis, l'historien se voulait à la fois descendant lointain des " rois du Yémen " et héritier plus proche de la noblesse de Carmona et de Séville. Ses parents traversèrent vers le sud le Mare Nostrum, fuyant la Reconquista catholique espagnole (sa mère était née à Séville). Puis lui-même effectua le voyage dans l'autre sens, partageant son existence entre la péninsule Ibérique et le nord de l'Afrique. C'est dans ce même Alcázar de Séville qu'il rencontra Pierre Ier, qu'il voulait convaincre, en tant qu'émissaire de Muhammad V, de la dynastie nasiride, de ratifier un traité de paix. Qu'une exposition démontre aujourd'hui que la région méditerranéenne n'a jamais été aussi stable et prospère que lorsque y cohabitaient les cultures qui en sont riveraines, voilà un rappel qui, par les temps qui courent, vaut son pesant d'or !
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.