Thèse, antithèse, prothèse

Par latribune.fr  |   |  1123  mots
La reconstruction de la gauche, par les contributions au congrès de Reims, ne peut laisser personne indifférent : ni, bien sûr, les militants et électeurs socialistes soucieux de revenir au pouvoir, ni l'ensemble des démocrates qui savent bien que toute démocratie n'a de sens que s'il existe un choix d'alternance. Si la gauche a " réussi ", après douze ans de Chirac, à perdre une élection présidentielle gagnée d'avance, il doit bien y avoir quelques leçons à en tirer ! Étant de ceux, tant au sein du club Vauban, où Antoine Veil avait instauré le dialogue droite-gauche, que par mon parcours personnel, qui pensent que la droite et la gauche sont également respectables, je voudrais ici attirer l'attention de la gauche sur un danger qui guette le prochain congrès : le danger de la traditionnelle " synthèse ".La lecture du livre de Bertrand Delanoë, De l'audace, rappelle les principaux pièges à éviter : la frilosité sur l'économie de marché, sur l'Europe, sur la mondialisation, sur tout ce qui " est ", le rêve du " grand soir " et des lendemains qui chantent, la césure inacceptable entre ce qu'on dit pour se faire élire et ce qu'on fait une fois élu. D'où cette conclusion incontournable du maire de Paris : " Tenir le même langage aux militants socialistes et aux électeurs. "Devoir de véritéAu congrès de Reims, il sera normal que plusieurs candidatures et plusieurs motions soient présentées. Mais il est souhaitable, il est même nécessaire que la motion majoritaire, comme dans toute élection, soit la seule à faire foi, voire à faire loi. Il n'est pas vrai que " tout le monde, il est beau, il est joli ". Il n'est pas vrai qu'on puisse satisfaire tout le monde. Le devoir de vérité, réclamé à juste titre par Bertrand Delanoë, exige de choisir, " car le peuple ne choisit pas ceux qui ne savent pas choisir ".Les joies de la rhétorique, et les négociations nocturnes de fin de congrès ont pour résultat que la mise en commun traditionnelle d'une thèse et d'une antithèse ne fait plus une synthèse, mais fait plutôt une prothèse, une espèce de membre artificiel dont personne ne veut car il ne peut servir à rien, ni pour soi, ni (encore moins) dans une compétition avec autrui.Montée de la ChineLa gauche ne gagnera pas 2012 avec une jambe de bois (ni avec une langue de bois). Or, qu'on soit de droite ou de gauche, on doit espérer de la démocratie qu'elle permette, en particulier tous les cinq ans, une compétition de projets stimulante et positive pour notre pays. Dans le passé, nombre de grandes avancées se sont faites, comme c'est normal, à partir d'engagements des candidats lors de leur campagne présidentielle : la loi sur l'avortement ou la majorité à 18 ans pour Valéry Giscard d'Estaing en 1974, l'abolition de la peine de mort pour François Mitterrand en 1981, le RMI en 1988, et, plus récemment, la réforme des retraites pour Nicolas Sarkozy.Comment y parvenir ? Trois exemples illustreront mon propos. La mondialisation en premier. La quasi-totalité de nos problèmes, à nous Occidentaux, vient de la montée en puissance de la Chine. Les fermetures et les délocalisations d'usines ? La Chine. Le doublement du prix du pétrole ? La Chine, qui en a un besoin massif pour faire tourner ses usines. La flambée des prix alimentaires ? La Chine, dont la population accède aux nourritures de base : le lait, les céréales, la viande. Le XXIe siècle ne sera peut-être pas celui de la religion, mais il sera celui de l'Orient, et tout être humain doit se féliciter que plusieurs milliards d'êtres humains puissent commencer à satisfaire leur faim.L'antithèse, c'est le discours protectionniste et le repli sur soi. La thèse qu'on aimerait entendre à gauche, c'est la régulation des échanges Est-Ouest pour que le développement de l'Est et l'Ouest puissent se faire de manière cohérente et maîtrisée, au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), et la volonté d'aller vers une gouvernance mondiale autant économique qu'écologique.La solidarité ensuite. S'il y a bien un domaine où l'on attend de la gauche des propositions réalistes, c'est bien là. L'antithèse, c'est de s'arc-bouter sur les droits acquis : retraite à 60 ans, 35 heures etc., alors que le statu quo est impossible, impossible à financer, impossible à concilier avec le besoin de compétitivité.La thèse, c'est la prise de ­conscience des grandes évolutions : allongement de la vie, augmentation du coût des soins de haute technologie, montée des aspirations d'hygiène et de santé. Dans le budget des ménages, les dépenses de soins augmentent plus vite que le revenu moyen, alors que, dans le budget de l'État, les recettes n'augmentent pas plus vite que le revenu national : la course est perdue d'avance. Personne ne veut d'une privatisation à l'américaine, mais personne ne veut non plus d'une faillite publique à la française. La droite n'ose rien dire sur ce sujet difficile. Alors, une fois de plus, " de l'audace " à gauche ! Dans le même domaine, la gauche aurait mauvaise grâce à combattre la " solidarité active " de Martin Hirsch parce que, antithèse, c'est fait par la droite, alors que la thèse est parfaitement de gauche.Le projet de société, enfin. Sans utiliser le grand mot de " projet de civilisation ", il est clair que la société française, déboussolée par la rapidité des changements, aurait bien besoin de savoir où elle va au sein de l'Europe. Le " non " irlandais démontre l'urgence de cette démarche.Tel fut le rôle du Plan, dont j'eus la charge. L'antithèse, je l'ai connue à gauche, où François Mitterrand se désintéressait totalement de ce X e Plan - le dernier - que Michel Rocard et moi-même soumettions au Parlement. La thèse - celle de l'ardente obligation du général de Gaulle - est celle de tracer un chemin vers l'avenir, d'éliminer les chemins sans issue - et ils sont nombreux - pour identifier une voie qui mène à la lumière.Travail en profondeurIl ne s'agit pas, en temps de crise, d'incantations à la " sortie du tunnel ", thème éculé et creux, mais d'un travail en profondeur sur les atouts nationaux et les aspirations nationales. La droite a déserté ce terrain, qu'attend la gauche pour l'occuper ? Pour l'instant, la droite gouverne, et nous devons tous souhaiter son succès dans ses combats contre la crise actuelle. À la gauche de comprendre qu'elle ne reconquerra pas le pouvoir en s'opposant, mais en proposant.