« L'Amérique est divisée, cela m'inquiète profondément »

Par latribune.fr  |   |  606  mots
Felix Rohatyn, auteur de « ces hommes qui ont fait l'Amérique »En quoi l'histoire de ces grands projets que vous avez explorée est-elle utile aujourd'hui ? En me replongeant dans l'histoire, j'ai découvert des grands hommes à l'autorité incontestable, qui ont construit l'état et fortifié la société autour de ces grands projets, comme le chemin de fer transpacifique, le canal d'Erie... Ces remarquables réalisations ont associé l'état et l'initiative privée, pour le bien de la collectivité. C'est ce qui nous manque aujourd'hui, alors que l'Amérique est à reconstruire.Que manque-t-il à l'Amérique d'aujourd'hui pour retrouver le chemin tracé par ces pionniers ? Le consensus social. Lorsque je me suis occupé de sauver la Ville de New York de la faillite, il y a trente ans, il a fallu négocier avec les banquiers, les élus et les syndicats. Nous avons réussi à créer la conscience d'intérêts communs, et donc la possibilité d'un accord. Associer les responsables des syndicats et le patron de Citybank, ce n'était pas facile... Je me souviens d'ailleurs que j'ai eu l'appui de deux responsables européens, le président Giscard d'Estaing et le chancelier allemand Helmut Schmidt, qui se sont mobilisés publiquement pour appuyer nos efforts, alors que les Républicains américains voulaient abandonner New-York à la faillite. Le président Obama n'est-il pas capable de créer un tel consensus, pour faire face aux défis d'une Amérique éprouvée par la crise ? Il a un talent et une intelligence exceptionnels. Il a aussi un côté gauchiste que je trouve, personnellement, plein de raison. Et il s'est entouré de collaborateurs extrêmement compétents au plan économique, comme Tim Geithner ou Larry Summers, qui ont stoppé la crise. Mais la situation politique du pays ne permet pas de lancer de grands projets comme ceux que j'ai observés dans l'histoire. L'Amérique est divisée, cela m'inquiète profondément. Regardez quels débats absurdes suscite la hausse des impôts, alors que les finances publiques sont détériorées ! C'est devenu une religion que de ne pas augmenter les impôts.Vous êtes pessimiste...C'est ce que me dit mon épouse depuis toujours, je lui réponds que je suis réaliste. Mais j'ai aussi une grande confiance dans la capacité des Américains à remonter la pente, quand les choses deviennent vraiment difficiles. Elles le sont maintenant et elles risquent de le devenir encore un peu plus. Nul doute que l'Amérique se relèvera, nul doute que de grandes choses seront faites à nouveau dans ce pays. Mais je ne sais pas si c'est Obama qui va les faire, ou si cela ne pourra intervenir que plus tard, lorsque les conditions politiques d'un accord national seront réunies.Quel diagnostic portez-vous sur la conjoncture ? la crise est-elle finie ? Le montant des dettes accumulées dans le monde est absolument extraordinaire. L'obstination à ne pas lever davantage d'impôt, chez nous, ne peut pas durer. Un économiste célèbre a dit que lorsqu'une situation ne peut pas durer, elle finit par s'arrêter... Je partage cet avis. Vous croyez dans les tentatives de refondation du système économique mondial ? Si on regarde froidement l'ampleur des problèmes à résoudre, on peut se demander si c'est faisable, tant les différences philosophiques et politiques sont fortes dans le monde. Mais lorsqu'on regarde l'histoire, on s'aperçoit que celle-ci recèle de grands hommes, qu'ils s'appellent Gandhi, De Gaulle ou Roosevelt... Les personnages exceptionnels ne manquent pas, et il faut leur donner le soutien nécessaire pour leur permettre d'agir. n