La classe moyenne des artistes menacée

Le livre est à l'image du personnage : éclectique, charmeur, fantasque, curieux de toutes les musiques, tour à tour drôle et agaçant, mais aussi chef d'entreprise pragmatique qui tient sa barre fermement dans un secteur en pleines turbulences. Il revendique sa vision du métier de producteur : celle d'un accompagnateur et développeur de talents, loin de l'exploiteur d'artistes, ne produisant que de la « soupe » commerciale. L'ouvrage nous montre les coulisses, les contraintes, les comptes d'un producteur confronté à la violence de l'effondrement du marché du CD, à contre-courant de l'image véhiculée par les adversaires de l'industrie musicale, opposés à la lutte antipiratage de la musique en ligne. Ce métier, Pascal Nègre en livre les facettes. Côté face, des rencontres, voire des amitiés avec des artistes, des stratégies, des choix artistiques pour leur faire rencontrer un public. Côté pile, des exemples chiffrés de comptes d'exploitation d'albums de trois artistes : X, Y, Z. Où il démontre que le producteur n'est pas gagnant à tous les coups. L'album d'un artiste déjà connu, dont le coût de production dérape et les ventes plafonnent à 100.000 exemplaires, génère un déficit pour le producteur, quand l'artiste a gagné sa vie. Tandis qu'un nouvel artiste qui fait un gros succès peut dégager une marge opérationnelle de plus de 10 %. Question de flair, et de rigueur de gestion...Petit-fils d'ouvrier agricole du Midi, fils d'un employé des PTT devenu ingénieur chez Bull en suivant des cours du soir, le patron de la « major » qui fait plus de 40 % des ventes de musique enregistrée en France se plaît à rappeler qu'il n'est pas né dans les paillettes du show-biz. Et qu'il a gravi les marches de l'industrie du disque : programmateur d'une radio libre au début des années 1980, le jeune homme fait ensuite la promotion d'artistes auprès des stations FM, dans les clubs, auprès des télévisions comme indépendant, puis chez BMG et CBS... Nommé patron du label Barclay, puis de Mercury, qui produisent Bashung, Khaled, etc., il prend la tête de la maison mère Polygram, en 1994, à l'âge de 33 ans. Seize ans plus tard, il est toujours là, même si, au gré des fusions de Polygram et MCA (Seagram), puis du rachat par Vivendi, c'est Universal Music France qu'il dirige aujourd'hui, groupe à la tête duquel il a été reconduit en début d'année jusqu'en 2015.Des années 1980-1990, avec le dernier enregistrement de Barbara, l'amitié avec Johnny Hallyday dont la carrière sera relancée avant la brouille avec Universal, en passant par Mylène Farmer, à laquelle Pascal Nègre emprunte le titre d'une chanson pour son ouvrage, pointe la nostalgie des relations durables qu'entretenait un producteur avec un artiste. Malgré le volontarisme de l'adaptation au monde numérique. Car « une des conséquences directes de la crise est de nous priver des moyens d'être patients », regrette-t-il. Impensable aujourd'hui d'attendre de 1958 à 1979, comme l'a fait Philips, qu'un album de Gainsbourg connaisse enfin un vrai succès commercial. Et ce ne sont pas les nouveaux talents de l'année, ou les quelques stars internationales qui en souffrent le plus, mais les artistes de la « classe moyenne de la musique populaire ». Ceux qui, il y a dix ans, vendaient 75.000 albums, et rentraient dans le catalogue que la maison de disques vendrait pendant des années. Ils n'en vendent plus que 15.000, équilibrant à peine une production. Une maison de disques a plus intérêt à produire une trentaine de nouveaux artistes, qui vendront à eux tous au moins 600.000 albums, qu'à défendre la carrière d'un artiste déjà installé, qui peut vendre beaucoup, mais sans garantie, alors que la production de son album est coûteuse. Et puis le public est devenu zappeur, portant un artiste aux nues lors de son premier album, l'oubliant dès le suivant. La faute au buzz Internet, éphémère comme un feu de paille. La faute aussi, en convient Pascal Nègre, à des émissions comme la « Star Academy », sur TF1, auquel il a participé comme membre du jury plusieurs années, et qui chaque année fournissait ses starlettes de l'année. Une participation qu'il revendique tant que l'émission a permis de promouvoir la musique délaissée par les TV. Et d'expliquer que faire un disque, c'est aussi un travail. Isabelle Repiton « Sans contrefaçon », de Pascal Nègre. Fayard Document (289 pages, 19 euros).
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.