La Bundesbank à la recherche de son identité

Un immeuble de béton imposant, long et sans charme, entouré de policiers solidement armés. L'immeuble de la Bundesbank, dans le nord de Francfort, est décidément une allégorie de ce que veut inspirer la banque centrale allemande : rigueur, fermeté, sérieux. Loin des ors ronflants de la Banque de France, de l'auguste antiquité de la Banque d'Angleterre ou de l'aspect un peu improvisé de la tour vieillotte de la BCE, à quelques dizaines de minutes de là. Ces valeurs, la Buba les cultive. Symbole de la stabilité financière en Europe et dans le monde, l'institution est chère aux Allemands. Et avec la crise de la zone euro, la proximité géographique entre Bundesbank et BCE ne suffit plus à la République fédérale. Il lui faut, comme l'a encore souligné récemment Angela Merkel devant le congrès de son parti, « renforcer la culture de la stabilité en Europe ». Or, nul mieux que le président de la Bundesbank, Axel Weber, n'est digne, aux yeux de Berlin, de cette tâche. Logiquement, ce dernier s'est donc officieusement porté candidat à la succession de Jean-Claude Trichet à l'automne 2011 et peaufine son image de garant de l'orthodoxie, n'hésitant pas à critiquer le laxisme actuel de la BCE sur la question du rachat des obligations d'État, par exemple.L'image de la Bundesbank ne sort pourtant pas indemne de la crise. Comme la plupart des autres banques centrales, la Buba est en effet chargée de la surveillance d'un système bancaire qui n'est guère vaillant. Le 25 novembre, Andreas Dombret, membre de son directoire, reconnaissait d'ailleurs que le secteur financier allemand souffrait encore de « vulnérabilité » et de « faiblesses structurelles ». Et ce, malgré la vigoureuse reprise économique actuelle outre-Rhin.Faut-il en accuser la Bundesbank ? Pas uniquement, bien sûr. D'autant que, cas unique en Europe, elle partage la supervision bancaire avec la BaFin, l'équivalent de l'AMF, qui seule a le droit, par exemple, de fermer un établissement. Pour autant, la Buba porte sa part de responsabilité dans l'état actuel du secteur financier allemand et dans la grave crise qu'il a traversée. Le sujet irrite d'ailleurs à Francfort, où l'on a opposé une fin de non-recevoir sans justification à nos demandes d'interview sur le sujet. Pas question, sans doute, de risquer d'écorner l'image d'Axel Weber dans sa campagne pour la présidence de la BCE.Pourtant, plusieurs institutions ont pointé du doigt les erreurs de la Buba. En septembre 2008, la Cour des comptes avait souligné ses manques sur l'affaire IKB. Cet établissement avait spéculé sur les subprimes américains via des structures hors bilan, mais la banque centrale n'avait cessé de le considérer comme ne posant pas de problème. Pire même, en 2002, deux ans avant l'arrivée d'Axel Weber à sa tête, la Buba avait, avec la BaFin, affirmé que les structures hors bilan d'IKB n'étaient pas concernées par les limites de crédits de sa maison mère. Cette même structure avait failli causer la faillite d'IKB, sauvé in extremis par l'argent des contribuables.Une autre vague de critiques sur la Buba concerne l'affaire Hypo Real Estate (HRE). Dans la foulée de la faillite de Lehman Brothers, cette banque, trop dépendante du marché monétaire qui vient de se fermer, est au bord du gouffre. Les superviseurs allemands n'ont rien vu venir, là encore. Dans l'urgence d'un week-end, ils montent un plan de sauvetage de 50 milliards d'euros. Le lundi 29 septembre, HRE se dit sauvée. Personne n'y trouve rien à redire, mais ce n'est que le début d'une longue descente aux enfers. Il faudra nationaliser HRE qui, encore aujourd'hui, est loin d'être tirée d'affaire. Onze mois plus tard, deux députés du Bundestag, le néocommuniste Axel Troost et le libéral Volker Wissing (actuel président de la commission des Finances), estiment que « les actionnaires et le public ont été trompés sur les indications de la Bundesbank et de la BaFin ». Affirmations rejetées par la banque centrale qui dit avoir agi en fonction de l'état de ses connaissances.Au-delà de la polémique, ces critiques démontrent surtout l'impuissance de la Buba pendant la crise. Impuissance renforcée, sans doute, par la lutte d'influence qui l'oppose à la BaFin. Cette faiblesse s'est souvent traduite par un alignement de la position de la Bundesbank sur celle du gouvernement fédéral. Axel Weber, connu pour sa proximité avec la chancelière Merkel, n'a jamais manqué une occasion de montrer sa solidarité avec elle. On l'a ainsi vu rapidement oublier les critiques qu'il avait esquissées sur des projets gouvernementaux ou internationaux comme la « Bad Bank » pour les Landesbank ou les nouvelles règles de Bâle III. Mercredi dernier, à Paris, il a encore apporté son soutien à la chancelière sur la question de la future responsabilité des créanciers des États européens, au risque d'affaiblir encore les pays périphériques de la zone euro.Du coup, la question de l'indépendance, socle légendaire de la Bundesbank, mérite d'être posée. D'autant que, cet été, l'affaire Thilo Sarrazin, auteur d'un brûlot xénophobe, a remué le couteau dans la plaie. L'homme, membre du directoire de la Buba depuis mai 2009, n'en était pas à son coup d'essai, mais Axel Weber n'a jamais pu le faire taire. La classe politique et le gouvernement se sont émus et ont enjoint, plus ou moins ouvertement, la Buba de « démissionner » l'imprudent écrivain. Il faudra un bon mois pour que ce soit fait, mais l'incident montre les limites de l'indépendance de l'institution. À tel point que plusieurs économistes réclament ouvertement un renforcement de cette indépendance. Du coup, Berlin repousse sine die la promesse faite à Axel Weber de confier à la Bundesbank l'ensemble de la supervision bancaire.Dans la course à la succession de Jean-Claude Trichet, Axel Weber ne peut le dissimuler, il sera donc le candidat du gouvernement allemand. Cette nomination, plus qu'une détermination de l'orientation future de la politique monétaire européenne, deviendra le révélateur des rapports de force politique au sein de la zone euro. Et la nomination d'un Allemand à la tête de la BCE pourrait poser, à l'avenir, la question de son indépendance. Ce ne serait pas là le moindre des paradoxes.Romaric Godin, à Francfort
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