Riches comme Lazard

Par latribune.fr  |   |  1143  mots
Mercredi chez Lazard, le champagne coulera à flots pour fêter le cinquième anniversaire de l'introduction en Bourse. Le 5 mai 2005, la célèbre banque d'affaires faisait son entrée à Wall Street et tournait la page d'une histoire familiale vieille de cent trente ans. Cinq ans plus tard, le bilan est mitigé. Entre organisation, culture interne et développement international, les chantiers doivent encore évoluer. Mais quoi qu'il en soit, tous les banquiers se rejoignent sur un point. Déjà riches, l'introduction en Bourse leur a permis de devenir très riches. La révolution de 2005 venait du partage des bénéfices entre les banquiers, dits les « travailleurs », et les actionnaires familiaux historiques qu'étaient les familles David-Weill et Meyer, dits les « capitalistes ». Les premiers reprochaient aux seconds de capter une trop grande partie des profits qu'ils ne généraient pas. Pour les convaincre d'accepter l'entrée en Bourse, l'ancien PDG Bruce Wasserstein leur a promis la richesse. Il y a cinq ans, ils ont tous reçu des dizaines, voire des centaines pour les meilleurs, de milliers d'actions gratuites Lazard. Valorisées à l'époque à 25 dollars, elles valent aujourd'hui chacune près de 40 dollars.Depuis, la plupart d'entre eux en ont vendu les deux tiers et ont accumulé des millions de dollars. Le record revient au PDG actuel, Ken Jacobs, qui a vendu pour 48 millions de dollars de titres, selon les documents officiels de la Securities and Exchange Commission, le gendarme de Wall Street. L'ancien numéro deux, Steve Golub, a touché 40 millions de dollars et le banquier star de la banque à New York, Gary Parr, 30 millions de dollars. Marcus Agius, ancien patron de la maison à Londres et désormais président de Barclays, a encaissé 35 millions de dollars. L'ancien PDG, Bruce Wasserstein, lui, n'a jamais vendu ses actions avant son décès brutal en octobre dernier. Ses héritiers ont cédé les deux tiers pour 287 millions de dollars.À Paris aussi, l'introduction en Bourse a fait des heureux. L'ancien patron, Georges Ralli, a gagné près de 30 millions de dollars grâce à ses titres, contre 11 millions pour son bras droit Erik Maris. Thomas Piquemal, parti depuis début 2009 chez Veolia, puis chez EDF suivre Henri Proglio, a engrangé près de 10 millions de dollars ; tout comme Matthieu Pigasse qui assure avoir vendu une partie de ses titres pour racheter le magazine « Les Inrockuptibles ». Bruno Roger, l'éternel président de Paris, n'a jamais vendu un titre. Mais étant donné ses responsabilités depuis des années et son ancienneté chez Lazard, ses actions doivent peser plusieurs dizaines de millions de dollars. Les 115 autres associés ont, eux aussi, gagné plusieurs millions de dollars. Tous pourront vendre le dernier tiers de leurs titres initiaux cette année, dès la date anniversaire du 5 mai. En dehors de ce stock, ils reçoivent chaque année une partie de leur bonus en actions Lazard. Une manière de les retenir mais surtout de les payer au même niveau que ses grandes concurrentes américaines.Au-delà des dollars accumulés, les banquiers de Lazard peuvent être fiers d'avoir réussi l'entrée en Bourse sans renier leur modèle. Il y a cinq ans, d'aucuns pensaient qu'ils ne résisteraient pas aux sirènes séduisantes des activités de marché. « Nous avons gardé notre identité de maison de conseil pur, sans conflits d'intérêts. Nous avons refusé de nous lancer dans le financement ou dans le trading. La crise a renforcé la force de ce modèle face à nos principaux concurrents », explique un pilier de la maison à Paris. Dans le même temps, la maison a fait grossir son métier de gestion d'actifs. Plus stable que le conseil en fusions-acquisitions, activité cyclique par nature, il pèse aujourd'hui un gros tiers des revenus du groupe. Mais, depuis que la banque est cotée à Wall Street, son pouvoir est désormais concentré à New York. D'autant que, lorsqu'il a pris les rênes de Lazard en 2005, Bruce Wasserstein a décidé d'ancrer la banque aux États-Unis. Il a successivement ouvert les bureaux d'Atlanta, de Chicago, d'Houston et de Los Angeles. Aujourd'hui, Lazard réalise encore 45 % de ses revenus au pays de l'Oncle Sam (contre 25 % en France) et fait partie des leaders du marché des fusions-acquisitions outre-Atlantique, derrière les géants Goldman Sachs, Morgan Stanley ou JP Morgan. Le développement à l'international a tout de même été accéléré avec la création de bureaux en Asie (Inde, Hong Kong et Pékin) en Amérique du Sud (Chili, Brésil et Argentine) et au Moyen-Orient. Mais il doit continuer et s'accentuer, notamment en Asie, si Lazard veut étendre sa marque à travers le monde.Dans ce contexte, Lazard a-t-elle perdu son âme, comme certains le redoutaient ? Cette interrogation est permanente, surtout à Paris où la culture maison est la plus ancrée. Pour les dirigeants parisiens, la cotation n'a rien changé car tel a été le choix de Bruce Wasserstein. Pendant ces cinq dernières années, l'ancien PDG a laissé s'exprimer une certaine liberté au sein du groupe. Lazard a toujours fonctionné avec de fortes personnalités comme Gary Parr à New York ou Matthieu Pigasse, Georges Ralli ou Erik Maris à Paris. « Bruce » a laissé subsister cette culture maison pour ne pas bousculer la « vieille dame ». Mais les choses changent. Le nouveau PDG, Ken Jacobs, souhaite davantage organiser la maison et coordonner les équipes entre elles. Le Français Matthieu Bucaille a été nommé directeur financier à New York. Le comité européen a été renforcé avec davantage de Français et Paris reste le « hub » en Europe. Les plus perplexes craignent une « intégration » des bureaux et une « banalisation » de Lazard. « Il faut rester locaux sinon nous perdrons notre âme », explique un associé parisien. « En 2005, nous sommes passés d'une monarchie absolue (Michel David-Weill) à une tyrannie (Bruce Wasserstein) et maintenant, nous installons une république démocratique », ajoute un autre associé. En France, les dirigeants Bruno Roger et Matthieu Pigasse sont persuadés qu'à l'inverse, ils seront plus autonomes grâce à une organisation européenne claire dans laquelle évolueront beaucoup de Français. Ils se préoccupent aussi de capter tous ces clients des pays émergents qui feront leur avenir. Dans un marché de plus en plus concurrentiel et dominé par les Américains, le « romantisme » des Français de Lazard aura du mal à résister au pragmatisme anglo-saxon.Matthieu PechbertyLa cotation à Wall Street de la célèbre banque d'affaires a fait la fortune de ses banquiers associés. Cinq ans après cette petite révolution, la banque Lazard veut conserver sa culture maison pour éviter une banalisation.Valorisées en 2005 à 25 dollars, les actions valent aujour-d'hui près de 40 dollars.« Nous sommes passés d'une monarchie absolue à une tyrannie. Maintenant, nous installons une république démocratique. »