Derrière les mots de Christian Noyer

STRONG>Catherine Gerst, associée chez Citigate Dewe Rogerson : ce sont les politiques, les banquiers centraux et les régulateurs qui ont organisé cette dépendance.C'est totalement vrai, mais ce sont les politiques, les banquiers centraux et les régulateurs eux-mêmes qui ont organisé cette dépendance, inscrite même dans les statuts de la Banque centrale européenne (BCE). Avant la crise grecque, la BCE s'interdisait dans son règlement d'acheter, sur le marché secondaire, de la dette souveraine notée en dessous d'un plancher (A-). De même, pour les opérations de titrisation, les banques commerciales ne pouvaient déposer auprès de la banque centrale que des titres notés AAA. Résultat : l'injection de liquidités dans le système bancaire par les banques centrales est totalement dépendante des notations. Ces règles contraignantes ont toutefois été levées lors de la crise de la dette souveraine grecque, car la BCE accepte désormais des titres de dette publique, quelle que soit la note attribuée par les agences de notation, se positionnant ainsi comme un « acheteur de dernier recours » face aux banques. Ce qui ne manque pas de poser la question de la pertinence de ces règles, qui ne sont finalement pas appliquées en cas de crise. Il faut également souligner l'importance donnée aux agences de notation par les régulateurs dans le mécanisme prudentiel des banques. Au moment même où l'influence des agences de notation était déjà fortement contestée lors des crises des pays émergents, ou en plein scandale Enron ou Parmalat, les régulateurs ont promu, lors de l'élaboration des normes prudentielles de Bâle 2, les agences de notation en superviseurs en chef du risque crédit. Et ce, faut-il le rappeler, contre l'avis des agences elles-mêmes, qui ont vite perçu le risque d'être désignéés boucs émissaires en cas de crise sérieuse. Par cette phrase en forme d'aveu, Christian Noyer relance peut-être l'idée de doter la BCE d'un outil propre de notation européen, avec ou sans le soutien d'autres organismes multilatéraux, comme le Fonds monétaire international (FMI) ou la Banque européenne d'investissement (BEI). Cette solution n'évitera sans doute pas la question des conflits entre pays au sein de ces institutions lorsqu'il s'agira de dégrader une note sur une dette souveraine. Steve Ohana, professeur de finance à l'ESCP Europe : les agences de notation sont des acteurs privés poursuivant des intérêts privésLes régulateurs n'ont cessé, ces dernières années d'intégrer la notation dans les réglementations ou les contraintes prudentielles (exigences de fonds propres directement dépendantes de la notation, possibilités de refinancement auprès de la banque centrale limitées aux seuls actifs notés AAA...), faisant ainsi jouer aux agences de notation un rôle de régulateur qu'elles ne sauraient assumer. En effet, il est illusoire de croire que les agences de notation puissent être « indépendantes » des marchés. Elles y sont au contraire totalement immergées, subissant la pression des investisseurs, et répondent avant tout aux besoins des clients qui les font vivre, les émetteurs de dette. Les informations qu'elles délivrent doivent ainsi être appréciées par les investisseurs pour ce qu'elles sont : les notations ne sont pas issues d'un observateur froid et indépendant, mais d'un acteur poursuivant lui-même des intérêts privés. Ainsi, les agences sont incitées à faire preuve de complaisance lors des périodes d'euphorie, contribuant à entretenir l'aveuglement des investisseurs et les bulles de crédit, et se sentent au contraire « autorisées » à détériorer les notes quand les investisseurs ont déjà manifesté les premiers signes de défiance, amplifiant en retour la panique par des réactions en chaîne où la procyclicité des règles de régulation jouent un rôle de premier plan.Pourtant, elles n'en jouent pas moins un rôle économique vital, dans la mesure où elles permettent de mutualiser le coût d'une recherche, souvent sophistiquée, au profit de tous les opérateurs sur les marchés de dette. Les agences de notation sont des acteurs privés poursuivant des intérêts privés. Si la notation doit avoir un rôle prudentiel ou réglementaire de stabilisation du système financier, elle doit être alors assurée par un organisme public ou parapublic dont les statuts lui permettraient d'échapper à la logique moutonnière des marchés et de devenir un véritable contrepoids à l'expansion des bulles de crédit. Nicolas Véron, économiste au Centre Bruegel (Bruxelles) : la BCE devrait pouvoir se forger sa propre opinion C'est une réalité qui traduit une solution de facilité pour tous les acteurs de la finance, régulateurs et banquiers centraux compris. Les problèmes d'indépendance ou du caractère moutonnier des agences de notation ne sont pas nouveaux. Mais il est vrai que la crise des subprimes et des produits structurés a lourdement entaché leur crédibilité, voire leur respectabilité. De fait, les agences apparaissent très affaiblies. Mais par quoi les remplacer ? À cette question, peu de réponses encore très convaincantes. Beaucoup d'investisseurs ont besoin des agences car ils n'ont pas les moyens d'évaluer finement le risque sur chaque produit. Davantage de concurrence permettrait de rectifier le tir et d'instaurer de meilleures pratiques, mais le renforcement de la régulation des agences tend à accroître les barrières à l'entrée. Les banques centrales pourraient également se doter de leur propre expertise de notation, avec une méthodologie différente, pour évaluer les titres qu'elles acceptent ou non d'acheter. On a bien vu que les limites que la BCE se fixait elle-même, sur la base de l'appréciation des agences, n'ont pas été tenues. C'est une piste de réflexion qui mériterait donc d'être explorée. Il ne s'agirait pas de substituer la BCE aux agences de notation, mais bien de permettre à la banque centrale de forger sa propre opinion sur les capacités de remboursement et d'ajuster sa politique en conséquence. Mais dans cette hypothèse, la banque centrale serait soumise elle-même à de fortes pressions des États.
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