Un Grenelle oui, mais sans Jean-Louis Borloo !

Par latribune.fr  |   |  838  mots
Ébouriffez-vous mentalement les cheveux et partons faire un voyage au pays des « Borloonomics », pour découvrir à quoi pourrait bien ressembler la politique économique de l'actuel ministre du Développement durable, s'il venait à l'idée de Nicolas Sarkozy de le nommer à Matignon. Jean-Louis Borloo nous promet donc une méthode inspirée de celle du Grenelle de l'environnement, pour l'appliquer notamment à la fiscalité. Ambition louable qui fait du mot « Grenelle » un outil positif au service de la réforme.Acceptons l'idée qu'un Grenelle de la fiscalité pourrait faire progresser, à la façon d'un débat participatif à la Ségolène Royal, la pédagogie de la justice fiscale dans un pays qui vient de se déchirer sur l'âge de la retraite. Mais qui peut imaginer que mettre autour d'une même table les syndicats, le patronat (lui-même très hétérogène sur la question fiscale) et les forces vives de la nation serait susceptible de forger un nouveau consensus sur l'impôt, sujet qui divise la France depuis l'invention de la taille et de la gabelle. Jean-Louis Borloo devrait relire ses livres d'histoire. Quand le roi convoque les états généraux, cela ne se termine généralement pas bien pour lui. D'autant que l'arbre de la réforme fiscale ne doit pas masquer la forêt de la hausse inévitable des prélèvements obligatoires que va devoir subir la France, comme tous les pays avancés, pour payer sa montagne de dettes.Nicolas Sarkozy n'a sûrement aucune intention de sacrifier sa tête pour son Premier ministre. La tentation qu'il a de nommer Jean-Louis Borloo ne répond qu'à des préoccupations d'équilibre politique. Pour autant, la méthode du Grenelle n'est pas forcément à rejeter d'emblée, à condition qu'elle soit employée à bon escient. Or, n'en déplaise à Jean-Louis Borloo, c'est probablement à la fiscalité qu'elle s'appliquera le moins bien. Espérer lui voir trancher des questions aussi sensibles que le niveau souhaitable de la taxation du patrimoine et des revenus en France (surtout si l'objectif est de supprimer l'ISF) ou bien l'opportunité d'une TVA sociale est aussi assuré d'aboutir à l'échec que de lui confier la sélection de l'équipe de France de football. À preuve, le Grenelle de l'environnement n'a en rien convaincu les Français de la pertinence d'une taxe carbone qui n'aurait de sens qu'au niveau européen. Une fois entré dans le détail, le Grenelle n'a pas fabriqué le consensus espéré, au point que Nicolas Sarkozy, son initiateur, a fini par le tuer en concédant que « l'environnement, cela commence à bien faire ».Il est en revanche un domaine dans lequel un Grenelle, un vrai, serait utile. C'est sur les moyens d'adapter la France à la mondialisation et aux défis des vingt ans qui viennent. Dès les années 1990, le Danemark, cité en modèle de social-démocratie apaisée, avait montré l'exemple, en faisant signer par l'ensemble des partenaires sociaux, à l'issue d'une longue et âpre négociation, un plan stratégique à moyen-long terme. Un plan qui comprenait la fameuse « flexisécurité » du marché du travail accompagnée de son financement. Ce travail aurait pu être fait par le rapport Attali sur la croissance, censé être transpartisan. Mais, dévoilé en plein conflit des retraites et, surtout, débattu dans une totale opacité par une commission non représentative, le rapport Attali 2 a fait un flop complet en termes de communication et ne constitue en rien une base pour la négociation demandée par la CFDT sur l'emploi des jeunes et des seniors, et acceptée par le Medef. À défaut de trouver un meilleur Premier ministre que François Fillon, Nicolas Sarkozy serait peut-être bien inspiré de se saisir de la récente colère populaire pour proposer un nouveau pacte social pour la décennie qui vient et répondre ainsi aux inquiétudes des classes moyennes. Lui qui dit s'inscrire dans les pas des ordonnances de 1945 (qui ont fondé notre Sécurité sociale) sait mieux que personne que le modèle social français risque de ne pas survivre au basculement du monde. Là où la gauche propose de discuter avec les syndicats pour proposer un contrat pour 2012, le chef de l'État pourrait susciter une telle initiative, pour panser les plaies du conflit sur les retraites, en prenant soin, chassant son naturel au galop, de laisser les syndicats et le patronat jouer à nouveau leur rôle d'intercesseurs avec la société française. Les partenaires sociaux se rejoignent en effet au moins sur un point : l'État, qu'il soit de droite ou de gauche, a pris la fâcheuse habitude de trop s'occuper de leurs affaires. Alors un Grenelle, pourquoi pas, mais sans Jean-Louis Borloo, sans François Fillon, sans Nicolas Sarkozy, replaçant les partenaires sociaux en face de leurs responsabilités, pour sortir du dialogue de sourds actuel entre la rue et le pouvoir.ParPhilippe Mabille Rédacteur en chef et éditorialiste