L'analyse de Erik Izraelewicz : le déclin de l'Europe

L'annonce, l'été dernier, lors des Rencontres économiques d'Aix-en-Provence, par le Prix Nobel Robert Fogel, de « la mort de l'Europe économique » avait choqué. Elle était apparue alors largement prématurée. Six mois après, à Davos, où se tenait le 40e Forum économique mondial, dans ce miroir de l'économie-monde qu'est ce rassemblement des élites de la planète, l'observateur honnête devait pourtant se rendre à l'évidence. L'Europe n'est pas totalement morte, mais elle était symbolisée à Davos par cette table ronde pitoyable où l'on pouvait voir trois chefs de gouvernement à l'agonie (le grec, l'espagnol et le letton) cherchant la résurrection auprès du grand prêtre vieillissant de l'euro, Jean-Claude Trichet. Le déclassement de l'Europe, on le ressentait dans l'avion qui menait à Zürich (la classe business était remplie aux trois quarts de Chinois et pour un quart d'Américains, les Européens occupant les arrières du jet). Le déclin de l'Europe a connu en réalité avec la crise une brutale accélération. La rebuffade de Barack Obama, annulant sans états d'âme un sommet États-Unis-Europe, trouve là sa principale explication. À quoi bon visiter un vivant en sursis !Déséquilibres américano-chinoisLe paradoxe de la crise des trois dernières années, les débats de Davos en ont été une illustration flagrante, c'est qu'elle trouve ses origines dans les déséquilibres américano-chinois mais que sa principale victime est l'Europe. S'appuyant sur les chiffres de son organisation, le FMI, Dominique Strauss-Kahn a souligné que nous assistions aujourd'hui à une reprise « à plusieurs vitesses ». La réalité, c'est que la récession elle-même a déjà été « à plusieurs vitesses ». La dépression a été, en 2008-2009, la plus violente en Europe, elle a été modérée en Amérique, elle a été insensible en Asie. Pour les deux-trois années à venir, si l'on s'en tient aux prévisions du FMI, la hiérarchie devrait rester inchangée. Une croissance de 1 % en Europe, de 2 % aux États-Unis, de 8 % en Inde et de 10 % en Chine. À plus long terme, Robert Fogel, encore lui, ne se veut pas plus optimiste pour l'Europe. Les pélerins de Davos pouvaient lire, dans la dernière édition de « Foreign Policy » (janvier-février 2010), un article de l'éminent économiste où il précisait son analyse. À ses yeux, le déclin relatif de l'Europe va se poursuivre dans les prochaines années. L'Union européenne (ses 15 premiers adhérents) pèse encore aujourd'hui 21 % de la production mondiale ; elle n'en représentera plus que 5 % en 2040, une division par quatre en une génération ! Si ce n'est pas du déclin...Les trois « D » : démographie, division et déficitLes causes de ce déclin sont connues. Ce sont les trois « D » : la démographie, la division et les déficits. La démographie tout d'abord. L'Europe stagne là où l'Amérique et l'Asie restent dynamiques. La population des Vingt-Sept (500 millions d'habitants) n'augmente plus que très lentement (+ 0,1 % en 2009). Dans certains pays (l'Allemagne, l'Italie, etc.), elle baisse. Elle vieillit surtout à grande vitesse. Robert Fogel, dans cet article, met en cause l'attitude des Européens à l'égard du sexe. Il y a bien d'autres raisons, leur réticence face à l'immigration notamment. C'est elle qui aujourd'hui alimente la dynamique démographique des États-Unis par exemple (une augmentation de la population de 1 % par an environ). La division ensuite. Sans même évoquer la faiblesse des institutions communautaires et les contentieux internes entre les Vingt-Sept sur bien des sujets, les économies du bloc européen suivent des stratégies de développement très différentes, sans réelle coordination de leurs politiques économiques et débouchant finalement sur une intensification des divergences structurelles. Malgré quelques avancées ? le marché unique, l'euro, etc. ?, l'Europe devait s'unifier pour se présenter, plus forte, face aux géants qui émergent, elle s'est plutôt éclatée.Le déficit le plus inquiétant en Europe : celui de l'innovationLes déficits enfin. On pense immédiatement à ceux des finances publiques. Ce ne sont pourtant pas, sur le long terme, les plus menaçants. Comme le soulignait, pour tenter de calmer les esprits, Jean-Claude Trichet, le déficit public des pays de la zone euro est finalement modéré (6,1 % en 2009) si on le compare par exemple à celui des États-Unis (plus de 11 %). Le déficit le plus inquiétant, pour l'Europe, c'est celui accusé sur le front de l'innovation. Aucune des grandes innovations de ces dernières années (la voiture hybride, l'iPhone ou dans un autre genre, « Avatar ») n'est née en Europe. Et l'on sent bien que dans ses propres domaines d'excellence (l'énergie, les transports, la machine outil...), l'Europe est aujourd'hui directement menacée par la montée des pays émergents ? qui sont aussi désormais des pays innovants. Les trois « I » : immigration, intégration et innovationDémographie, division et déficit, ces trois « D » sont fondamentalement à l'origine du déclin en cours de l'Europe. Pour stopper le mouvement, trois pistes simultanées pourraient être engagées. Sur le front démographique, il semble difficile de faire rebondir le taux de fertilité en Europe. Une autre solution consisterait à ouvrir le Vieux Continent à une immigration professionnelle massive et de qualité ? c'est ce que préconisent des patrons aussi différents que Paul Hermelin (Capgemini) et Thierry Breton (Atos Origin). En matière politique, ce serait de relancer un processus de fusion des économies européennes, leur intégration ? à l'instar de ce qui avait été entamé au cours de la seconde moitié du XXe siècle. C'est ce à quoi rêve une personnalité comme Yves-Thibault de Silguy (Vinci), celui qui avait organisé depuis Bruxelles le lancement de l'euro. Ce serait enfin d'intensifier les politiques en faveur de l'innovation. Ce qui fait l'unanimité dans les intentions, sinon la réalité. Le grand problème, c'est qu'il n'y a en Europe aucune force politique qui se ferait aujourd'hui le porte-parole de ces trois « I » : immigration, intégration et innovation. Dommage. Les « D » sont jetés !
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