Le vinyle démocratise la musique

Au clair de la lune, mon ami Pierrot... » L'histoire de la musique enregistrée a démarré dans un quasi-silence, par une gravure sonore de dix secondes réalisée par un ouvrier typographe français, Édouard-Léon Scott de Martinville, inventeur du « phonautographe ». En 1877, l'un de ses compatriotes, le poète Charles Cros, crée le « paléophone », la première forme de phonographe sur lequel peuvent être joués des disques assemblés en gravure latérale. La même année, l'Américain Thomas Edison, que de nombreux historiens soupçonnent de s'être inspiré des travaux de Cros, dépose le brevet de son propre phonographe.Mais l'industrie du disque ne décollera vraiment qu'en 1888, lorsqu'Emile Berliner, un ingénieur allemand naturalisé américain, développe une matrice permettant d'imprimer à grande échelle des disques horizontaux. Un marché naît alors. À la fin du XIX  siècle, deux multinationales du disque s'affrontent déjà?: la française Pathé et l'allemande Deutsche Grammophon. En 1904, le disque de sillon tournant à une vitesse de 78 tours par minute est commercialisé par English Neophone Co. Le phonographe restera pendant plusieurs décennies un objet de luxe, prisé des salons bourgeois. Un progrès notable intervient en 1925 avec le premier enregistrement réalisé à partir d'un microphone?: les enregistrements deviennent alors moins onéreux et plus nombreux tandis que la taille des lecteurs diminue. Leur essor sera toutefois bridé par les deux guerres mondiales et la crise des années 1930.Un cap majeur est franchi en 1947 quand Peter Goldmark, un ingénieur hongrois qui a immigré aux États-Unis, crée pour le label américain CBS le microsillon (« microgroove ») dont la vitesse de rotation s'inscrit à 33 tours 1/3 par minute. Une cinquantaine d'années après ses balbutiements, les conditions sont enfin réunies pour que l'industrie du disque explose. Le boom économique de l'après-guerre démarre quand le prix des tourne-disques devient abordable. Le disque vinyle devient alors un produit populaire et les mélomanes sont comblés. Grâce à l'augmentation des fréquences que permet l'utilisation de matières synthétiques thermoplastiques et au remplacement du saphir par le diamant, le son nasillard produit par les 78 tours fabriqués en gomme-laque donne place à la haute-fidélité. Au milieu des années 1950, les 33 tours triomphent des 78 tours dans les bacs des disquaires dont le nombre de magasins se multiplient en Europe et aux États-Unis.Outre son prix et sa qualité auditive, le 33 tours dispose d'un avantage majeur?: sa vitesse de rotation permet d'écouter jusqu'à 60 minutes de musique réparties sur deux faces, contre douze minutes par face pour son prédécesseur. Dans le monde du jazz, les musiciens des formations naissantes de be-bop peuvent reporter sur vinyle leurs improvisations débridées. Dans celui de la musique classique, il n'est désormais plus nécessaire de faire tourner une dizaine de disques pour savourer un opéra. À partir des années 1960, des musiciens de rock s'empareront du format du LP (« Long Play ») pour enregistrer des « concept albums » dont les chansons - et même la pochette - sont unifiées par un thème unique. Les Beach Boys livrent l'album « Pet Sounds » en 1966, suivi l'année suivante par « Sergent Pepper's Lonely Hearst Club Band », le chef-d'oeuvre psychédélique des Beatles.Dans les années 1950, deux révolutions quasi simultanées propulsent les ventes des galettes de vinyle?: l'avènement du rock'n'roll et du rhythm'n'blues, deux genres spécifiquement dédiés à un auditoire jeune, ce qui constitue une nouveauté pour l'industrie musicale, et l'invention par RCA (Radio Corporation of America) du 45 tours, un disque vinyle de 17 centimètres de diamètre pouvant contenir deux à quatre titres. Stimulés par cette nouvelle technologie et ces rythmes endiablés, des labels fleurissent à travers les États-Unis, profitant de la richesse musicale du pays (blues, rhythm'n'blues, jazz, rock'n'roll, country...). À Memphis, dans le Tennessee, le fondateur de Sun Records, Sam Phillips, débordé par les coûts de développement de son petit label, est contraint de vendre le contrat d'un jeune chanteur de hillbilly, Elvis Presley, pour 35.000 dollars... à la « major » RCA. En 1955, l'industrie du disque pèse 277 millions de dollars. En France, Eddy Barclay importe des États-Unis le procédé du disque en vinyle et des électrophones, ce qui lui rapportera fortune et lui vaudra le surnom « d'empereur du microsillon ». Un autre Français, Marcel Teppaz vendra 1 million de tourne-disques entre 1945 et 1970, dont le célèbre « Teppaz portable », le modèle « Oscar » vendu dans 111 pays?!Au terme de trois décennies de progression régulière de ses ventes, la galette de vinyle fait face à un redoutable adversaire quand, en 1982, le groupe néerlandais Philips commercialise le disque compact audionumérique qu'il a créé avec le japonais Sony. Six ans plus tard, les ventes de CD dépassent celles des vinyles pour la première fois aux États-Unis. Après avoir pratiquement disparu des bacs à travers le monde, le 33 tours connaît actuellement une nouvelle jeunesse. Les mélomanes, notamment les amateurs de jazz, le plébiscitent et la demande est soutenue par un public jeune, accroc de musiques rock, hip-hop, techno, funk... rééditées ou inédites. En 2009, les ventes de 33 tours ont bondi de 33 % à 2,5 millions d'unités aux États-Unis, le premier marché du disque. Une goutte d'eau dans un océan de ventes de CD en déclin et de téléchargements légaux et illégaux en hausse. Il s'agit toutefois de la meilleure performance commerciale du 33 tours depuis que Nielsen SoundScan a commencé à suivre sa trace en 1991.Éric Chalmet
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