Accord de libre-échange transatlantique : "inutile et irréaliste ! "

LA TRIBUNE - Croyez-vous à un accord de libre-échange entre les États-Unis et l\'Union européenne ?ANDRÉ SAPIR - Je n\'en suis pas partisan. Cela peut avoir des effets sur la croissance d\'une petite économie qui signerait un accord avec une grande économie, comme l\'Union européenne avec le Chili par exemple. Mais sur le principe, je suis un partisan des accords multilatéraux. On constate déjà une prolifération de ces accords. Mais si un accord est signé entre les États-Unis et l\'Union européenne, cela va encore plus affaiblir le multilatéralisme, car il s\'agit de deux des plus grandes puissances commerciales.Pensez-vous qu\'un accord avec les États-Unis puisse être un vecteur de croissance pour l\'Europe ?Il pourrait certes améliorer la situation économique de l\'UE, mais de manière très marginale. La Commission européenne parle d\'un revenu supplémentaire pour l\'UE de 100 milliards d\'euros. Soit 0,6 % de son revenu annuel. Ce très faible impact s\'explique par le fait que cet accord concernerait deux très grandes économies, à peu près de même taille et fortement ouvertes, qui sont déjà des partenaires privilégiés. Il n\'y aura aucun effet mirobolant.Alors, quelle serait l\'utilité d\'un tel accord ?Aucune, parce que ce qui est faisable n\'est pas intéressant et ce qui est intéressant n\'est pas faisable. Pour faire simple, les barrières tarifaires entre les États-Unis et l\'UE sont déjà faibles et relativement faciles à éliminer. Mais, justement parce qu\'elles sont faibles, les gains escomptés sont eux aussi extrêmement faibles. Là où les gains pourraient être importants, c\'est sur les barrières non tarifaires, les réglementations. Or, ce qu\'il faut bien prendre en compte, c\'est qu\'elles n\'avaient pas vocation à être des barrières et sont le fruit d\'un processus politique qui avait d\'autres objectifs que de se protéger. On le voit notamment sur la question des hormones. Vouloir aplanir les réglementations européenne et américaine comme on l\'a fait à l\'intérieur de l\'Union européenne est irréaliste.Le véritable enjeu n\'est-il pas d\'envoyer un signal à la Chine, accusée de ne pas jouer le jeu du libre-échange ?Indéniablement, oui. C\'est une dimension à prendre en compte. Ça n\'est pas la seule. Mais de ce que j\'entends çà et là, c\'est un facteur important. L\'idée est de dire que nous comptons encore, et qu\'il faudra encore compter avec nous à l\'avenir.Pensez-vous que cela soit opportun ?C\'est une mauvaise idée. Nous avons été les piliers de l\'économie du monde avec la mise en place du Gatt puis de l\'OMC. Nous en avons tiré des bénéfices extrêmement importants basés sur le multilatéralisme. On devrait plutôt se poser la question de la nouvelle gouvernance mondiale en prenant en compte les pays émergents. Cela doit être notre priorité. Attention à ne pas retomber dans les alliances régionales et sur le repli sur soi des années 1930.Ne peut-on pas craindre aussi qu\'un accord favorise seulement certains pays européens ?Plus qu\'une question de pays, il y aura des gagnants et des perdants dans les secteurs concernés par l\'accord. Mais au niveau des pays, on ne peut pas dire cela. Nos économies en Europe sont interconnectées, ce qui bénéficie à l\'un bénéficie à l\'autre.La France, jugée « réactionnaire » par José Manuel Barroso sur l\'exception culturelle, seraitelle perdante si un accord venait à être signé ?Je ne pense pas. La France peut en tirer des bénéfices dans les services, dans les produits manufacturés et pour son agriculture. Elle peut tirer son épingle du jeu en capturant une partie des gains. Bien sûr, il y a des domaines, comme l\'audiovisuel, qui ont une valeur symbolique. Mais en réalité, c\'est un faux problème. Les accords du Gatt prévoyaient déjà une exception culturelle pour le cinéma. Depuis, les États-Unis reviennent régulièrement à la charge, mais tout le monde savait que ça ne passerait pas. José Manuel Barroso a réagi de manière excessive en traitant la France de réactionnaire.Pour aller plus loin: pourquoi le libre-échange fait-il peur ?
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