Et l'identité économique de la France, alors  !

Avec 400.000 chômeurs de plus en un an et une dette publique estimée à 83 % du PNB en 2010, il n'y a, à l'évidence, pas de sujet plus urgent que l'identité nationale... qui a donné lieu, hier, à un séminaire gouvernemental. Ironie de la situation : quelques mois avant ce débat ridicule, un livre passionnant a été publié sur un aspect essentiel de l'identité nationale : « l'Identité économique de la France », de l'historien David Todd (Grasset). Il porte sur la genèse de l'hostilité française au libéralisme économique, et, plus particulièrement, sur les débats sur le libre-échange qui eurent lieu entre 1814 et 1851, conclus par la victoire politique et culturelle des protectionnistes.Il montre, notamment, que les idées protectionnistes, initialement situées « à droite », ont conquis la gauche à partir des années 1840. Au départ, le protectionnisme émanait d'une partie des milieux d'affaires, représentant les activités les plus menacées par la concurrence étrangère. Il était pratiqué par les gouvernements de la Restauration et, malgré quelques inflexions, de la monar-chie de Juillet. La gauche était donc libre-échangiste par hostilité au pouvoir et aux milieux d'affaires, mais aussi parce que le libéralisme politique et le libéralisme économique étaient encore perçus comme intimement liés, dans le prolongement du XVIIIe siècle.David Todd montre comment s'est produit, dans les années 1840, un changement dont les ondes de choc nous parviennent encore. La majorité de la gauche devient sensible aux idées protectionnistes pour des raisons avant tout intellectuelles. Le libre-échange, qui triomphe outre-Manche avec l'abolition des « corn laws », est perçu comme une idéologie « anglaise ». Ses partisans sont accusés de défendre le modèle de société britannique, inégalitaire, et l'ennemi héréditaire qui a combattu la Révolution. L'adhésion au libre-échange est aussi interprétée comme un acte de foi dans l'économie politique, science naissante et décriée parce qu'elle paraît légitimer l'ordre social.À partir des années 1850 se met en place une configuration durable : le nationalisme économique est avant tout porté par une partie (majoritaire) de la droite. Quant à la gauche, elle est mal à l'aise face à ce sujet, hésitant entre son aversion pour les milieux d'affaires protectionnistes, souvent très conservateurs, et la crainte de soutenir des idées libérales. On retrouve cette hésitation à travers l'histoire des cent cinquante dernières années : dans les débats douaniers des années 1890, le conservateur protectionniste Méline essaie d'obtenir le soutien d'un Jaurès hésitant, en lui faisant valoir que soutenir le libre-échange reviendrait de sa part à légitimer les thèses libérales dans leur ensemble, que les socialistes combattent. Quarante ans plus tard, en 1933, certains socialistes s'interrogent sur leur soutien au protectionnisme agricole au cours des années précédentes, contraire aux intérêts des ouvriers puisqu'il renchérit le pain. La réponse de Marcel Déat (alors socialiste) est éloquente : « À partir du moment où on essaye de stabiliser les prix des denrées agricoles à un certain niveau, on sort de la notion classique du prix, telle qu'elle figure dans les traités d'économie libérale, on substitue à l'idée de prix de revient et de vente la notion du juste niveau de vie. » En bref, la gauche restait tiraillée entre les intérêts des catégories sociales qu'elle prétendait défendre et une hostilité intellectuelle générale aux idées libérales.Depuis la fin de la guerre, la gauche non communiste s'est montrée dans l'ensemble plus libre-échangiste que la droite, notamment au travers de son engagement européen. Inversement, la rhétorique protectionniste ne s'est jamais aussi bien portée que pendant la présidence Chirac.Aujourd'hui, ces débats sont assez largement dépourvus d'enjeux, car l'insertion de la France dans le commerce mondial, garantie par les traités européens et les accords de l'OMC, ne peut être remise en cause qu'à la marge. Toutefois, on peut regretter que la gauche reste tétanisée par ce thème. Alors que Nicolas Sarkozy l'exploite avec démagogie, au risque de braquer nos partenaires européens et la Commission européenne, par exemple à l'occasion des plans d'aide à l'automobile, ou en reprochant à Renault d'avoir trop de salariés à l'étranger (tout en encourageant sa diversification internationale !), le silence gêné de l'opposition l'empêche de dénoncer avec la vigueur nécessaire le caractère brouillon de la politique économique actuelle. nchronique david spector Professeur associé à l'École d'économie de P
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.