Les rouages grippés de l'OMS

Le 18 janvier, sur les rives du lac Léman, débute la réunion du Conseil exécutif de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Autour de la table ronde, une trentaine de personnes : un aréopage de ministres et de directeurs généraux de la Santé, qui agit comme un super conseil d'administration. « Au cours de cette session, raconte un témoin, nous avons félicité la directrice générale, Margaret Chan, pour son travail de lutte contre la grippe H1N1. Nous étions désolés par la montée des critiques. »Moins d'un an après l'émergence du virus qu'on appelait alors « grippe mexicaine », c'est un autre type d'agitation qui s'est en effet emparé de l'OMS. Après avoir fait plus de 15.000 victimes sur la planète, le virus paraît sous contrôle, mais c'est l'institution onusienne qui est sur la sellette. Trop alarmiste, trop proche des laboratoires, trop secrète : les accusations pleuvent. Dans le collimateur du Conseil de l'Europe, elle a été sommée de rendre des comptes aux parlementaires, le 26 janvier, à Strasbourg. Peu avant, sa patronne avait fini par admettre quelques ratés. « Nous n'avions pas prévu que les gens décideraient de ne pas se faire vacciner », a-t-elle concédé.Les responsables mondiaux de la santé peuvent pourtant souffler. Huit mois plus tôt, en mai 2009, l'assemblée mondiale annuelle de l'OMS s'était réunie à Genève en pleine peur panique du virus H1N1. « L'affolement était tel que nous avions dû raccourcir la session pour permettre aux responsables de la santé de rentrer le plus vite possible dans leur pays », raconte un participant. Du Mexique au Japon, la liste des morts s'allongeait de jour en jour. « Nous étions tous pendus aux communiqués de l'OMS et nous avions hâte qu'elle déclare la pandémie, permettant de clarifier les choses », admet ce protagoniste. Ce sera fait le 11 juin 2009. Ce jour-là, conseillée par un cénacle d'une quinzaine d'experts, auxquels se joignent les représentants des huit pays les plus touchés par le virus, Margaret Chan active la phase 6, synonyme de pandémie. Certes, celle-ci est de « gravité modérée », nuance la directrice générale avec un curieux sens de la communication. Il s'agit pourtant d'une première, depuis la création de l'échelle d'alerte de l'OMS en 1999.La Chinoise, qui a pris la tête de l'organisation en janvier 2007, en a-t-elle trop fait ? Un examen minutieux des décisions prises au printemps 2009 montre qu'au contraire, elle a suivi à la lettre le règlement sanitaire international, véritable bible de la santé publique mondiale. « La définition de pandémie, qui insiste sur le caractère nouveau du virus et sa diffusion massive, n'a pas été modifiée, assure l'historien de la santé Patrick Zylberman. Le comité d'urgence demandait à Margaret Chan de lui ajouter une échelle de gravité. Une demande refusée car jugée trop complexe à mettre en place : il était impossible de comptabiliser les cas d'infection au jour le jour. »L'OMS est-elle alors allée trop vite en besogne ? « Les choses ont plutôt traîn頻, a répondu Patrick Zylberman, lors d'une audition publique à Paris, le 1er décembre. « L'état de pandémie n'a été déclaré que le 11 juin, alors qu'il aurait dû l'être bien avant. Durant le mois de mai, l'OMS a dû affronter des revendications réitérées de certains gouvernements légitimement anxieux des conséquences économiques et sociales d'une telle décision », a-t-il souligné. Mais l'OMS a passé outre, justifiant sa décision à la fois par la propagation du virus (74 pays touchés) et par son ampleur (30.000 cas confirmés).Aujourd'hui, ses représentants comprennent mal le feu nourri de critiques dont ils font l'objet. « Nous savions depuis le début que nous serions soit accusés de cacher la vérité si nous minimisions les choses, soit d'en faire trop si nous étions totalement transparents. Nous avons choisi la deuxième option : dire tout ce que nous savions au fur et à mesure », rétorque Marc Danzon, directeur de l'OMS pour la région Europe jusqu'en décembre 2009.Même flou concernant les possibles conflits d'intérêts des experts proches de l'OMS. Industriels et chercheurs s'accordent sur un point : difficile pour un scientifique d'avoir une légitimité s'il ne travaille pas en lien avec les laboratoires privés. « Pour la grippe, le nombre d'experts dans le monde est très limité. Or, les meilleurs travaillent pour l'industrie, pas directement à l'OMS ! » assène Marc Danzon. Même parmi ceux qui critiquent violemment l'OMS, certains rappellent que sans industrie, il n'y aurait pas de recherche thérapeutique. « Les laboratoires privés sont les seuls qui investissent de façon significative dans ces domaines », souligne un chercheur. Surtout, il s'agit de savoir ce que l'on entend par « liens » avec les groupes pharmaceutiques. « Qu'il s'agisse de projets de recherche, de la conduite d'études cliniques ou de revue et d'analyses de données, l'industrie a besoin d'experts extérieurs », assure Luc Hessel, directeur des affaires médicales et publiques chez Sanofi-Pasteur MSD et représentant des fabricants européens de vaccins (EVM). Au final, les détracteurs de l'OMS semblent bien avoir raté leur cible. Car l'agence onusienne est loin d'être exempte de tout reproche. À Paris, on porte un regard extrêmement sévère sur sa gestion de la grippe A. « À aucun moment, elle n'a eu le courage et la lucidité de réévaluer les risques », lâche une source gouvernementale, qui poursuit : « Dès septembre, on savait qu'il s'agissait d'un virus galopant très vite, mais dont le taux d'attaque n'était pas très fort. L'OMS n'a jamais fait son aggiornamento. »Ce boulet tiré sur la maison genevoise n'est pas dénué d'arrière-pensées : très critiquées pour l'organisation de la campagne de vaccination, les autorités françaises ont beau jeu, à présent, de renvoyer la balle dans le camp de l'OMS. Mais elles ont aussi de bonnes raisons de le faire : depuis cet été, le comité d'urgence de Margaret Chan s'est réuni seulement deux fois (les 23 septembre et 26 novembre) et encore, via e-mails ou téléconférence. Il n'a quasiment rien changé à son appréciation de l'épidémie, toujours en phase 6. Tout au plus, l'OMS a-t-elle promis un audit externe sur sa gestion de la grippe A. L'institution a aussi prévu de mieux encadrer les déclarations d'intérêts financiers des experts amenés à travailler pour elle. La plupart des observateurs estiment urgent de revoir la définition même d'une pandémie. « Encore faudra-t-il que tous les membres de l'OMS s'entendent sur cette question », souligne un vieux routier de l'institution Genevoise. On ne bouscule pas en quelques mois les gardiens de la santé mondiale...Par Éric Chol et Audrey Tonnelie
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