Marchionne, le faux messie des réformes

Pour la « patronne des patrons » italiens, Emma Marcegaglia, il s'agit d'un « manque complet d'attention ». « Depuis six mois, l'action du gouvernement n'est pas suffisante ici », vient-elle de répéter pour la énième fois. Probablement en vain. Après le véritable soap opera commencé l'été dernier au sein de la majorité du président du Conseil Silvio Berlusconi (contre Gianfranco Fini) et qui n'en finit pas de se terminer, le Cavaliere passe désormais le plus clair de son temps à étudier comment il pourra échapper à un prochain procès ou bien à justifier sa proximité avec « Ruby attrape coeur », une call-girl ayant séjourné dans son quartier général privé d'Arcore.Ce scénario de reality show ne recèle rien de neuf : ce n'est qu'un remake de la concentration de tout un pays, la troisième économie de la zone euro pour le moins, sur les vicissitudes privées de son Premier ministre. En 2009, les sommets du G8 et du G20 en Italie avaient déjà été éclipsés par les récits des nuits du Cavaliere avec une call-girl des Pouilles.Ce qui est nouveau aujourd'hui, c'est que certaines réformes tant attendues - car annoncées - du dernier exécutif dirigé par Silvio Berlusconi semblent possibles. Mais elles ne lui doivent pas grand-chose. « Dans les prochaines semaines il faudra vérifier si ce gouvernement est en mesure d'avancer et de faire les réformes, sinon il faudra faire d'autres choix », déclare Emma Marcegaglia, la présidente de Confindustria. Les choix sont déjà faits. Ce n'est pas tant l'actuel ministre de l'Économie et des Finances, Giulio Tremonti, qui pourrait « réformer », s'il prenait le poste du Cavaliere. Ce responsable des comptes publics a plutôt brillé ces derniers temps par sa capacité à imposer l'absence de réformes, toujours trop coûteuses à mettre en oeuvre, que par une ingéniosité à proposer une sortie de crise audacieuse au pays. Du reste, son contrôle des finances publiques a jusqu'ici évité à l'Italie, le plus grand débiteur d'Europe, de partager le sort de la Grèce ou de l'Irlande. Non le vrai « réformateur » fêté dans la péninsule n'est qu'à moitié italien : c'est l'administrateur délégué du groupe Fiat, Sergio Marchionne. Alors que Silvio Berlusconi croisait le fer avec son ancien allié de parti Gianfranco Fini, ce manager italo-canadien soumettait les syndicats italiens plus ou moins à un chantage : accepter la limitation des conditions de travail (nombre de pauses, indemnité maladie...) proposée par la direction pour ses usines italiennes ou bien voir une vingtaine de milliards d'euros d'investissements envisagés dans le Bel Paese réalloués aux sites serbe ou polonais du groupe, ce qui in fine signifierait la lente agonie des usines transalpines du groupe né en 1899 à Turin.Le coup de bluff de Marchionne a de nouveau fonctionné : comme lorsqu'il avait réussi, il y a quelques années, à extorquer à General Motors (GM) quelques milliards pour défaire leur alliance, le manager, qui depuis cultive l'apparence du patron brisant les conventions en ne portant que des pulls (plutôt que des costumes et des cravates), a fait plier les syndicats, les ouvriers et employés de Fiat avalisant, par référendum, la réduction de leurs droits en contrepartie d'une hausse de leurs salaires.Ce tour de force vaut à Sergio Marchionne aujourd'hui autant d'éloges que lorsque, il y a quelque temps, il jurait que le secret de la compétitivité du groupe ne résidait pas dans la fermeture d'usines en Italie et le licenciement de leurs ouvriers. À l'époque, les syndicalistes n'en croyaient pas leurs oreilles et félicitaient le patron de Fiat pour tant de clairvoyance.Mais le chef du dernier grand groupe industriel italien est-il vraiment un modèle pour les réformes dont le pays a cruellement besoin ? Rien n'est moins sûr. Le vieil adage selon lequel « ce qui est bon pour Fiat est bon pour l'Italie » n'a plus cours. Fiat est tout sauf représentatif du tissu économique du pays. Les six millions de firmes italiennes ne ressemblent en rien au groupe turinois. Petites, voire minuscules, elles n'ont pas accès aux mêmes avantages en cas de crise (l'indemnisation des salariés pour chômage technique, par exemple). Avec au mieux une dizaine d'employés, ces petits patrons, souvent très inventifs et débrouillards, n'ont aucun intérêt à un bras de fer avec leurs effectifs. L'entreprise italienne est en cela plus proche de sa référence ultime, la famille, que de l'organisation de masse incarnée par Fiat.Pour cette véritable industrie italienne, petite et se réinventant sans cesse, c'est encore la politique à Rome (en réformant l'éducation, la fiscalité, l'État providence...) et non un grand frère américain basé à Turin qui doit la sortir de la stagnation. Mais ce ne pourra être que dans l'après-Berlusconi.L'analyse
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