Le déjeuner de François Lenglet  : Bernard Ramanantsoa, le patron de l'« usine à élites » française

Par latribune.fr  |   |  700  mots
Ce matin-là, le ciel est si bas qu'il a terni la coupole des Invalides. Je pousse la porte du Café de l'Esplanade, accueilli par un essaim de serveuses bourdonnant. La salle est pleine, c'est l'heure des petits déjeuners en ville. Dans un coin, Anne-Marie Idrac beurre ses tartines avec Renaud Donnedieu de Vabres. Bernard Ramanatsoa est installé tout au fond. J'évite de justesse la collision avec un chef d'entreprise connu et ventripotent qui navigue d'une table à l'autre, au péril des fragiles équilibres d'assiettes chargées de viennoiseries. Sur la table de « Rama », une simple tasse de thé. Mon invité est enroulé dans écharpe rouge, sa voix est cassée. En cet hiver glacial, le blizzard doit être meurtrier sur le vaste campus de la prestigieuse « business school », et le patron d'HEC a pris froid. Formation ou formatage ? Alors, rien n'a changé, depuis la crise ? C'est reparti à fond, explique-t-il : les grandes banques internationales sont revenues à Jouy-en-Josas pour recruter, après un court passage à vide. Et elles arrivent avec le carnet de chèque : 60.000 euros de salaire annuel plus bonus pour un poste dans la finance à Londres, par exemple. Pas idiot, pour un premier job. Au-delà même du salaire, la finance garde une forte capacité d'attraction, explique Ramanantsoa, parce qu'un passage de trois ans chez Goldman-Sachs fait sortir un CV du lot, même pour faire une carrière dans l'industrie. Au fait, la crise a-t-elle changé l'enseignement dispensé dans cette fabrique à élites économiques ? « On renouvelle nos programmes par tiers tous les trois ans, répond Ramanantsoa, c'est une respiration naturelle, indépendante de la crise. » HEC, comme toutes les institutions, est aujourd'hui mise en cause pour le rôle que l'école aurait joué dans le modelage des esprits et, in fine, dans la perversion du capitalisme. Le formatage plutôt que la formation... La thèse a été développée dans un livre à succès écrit par une journaliste, « J'ai fait HEC et je m'en excuse ». Très attentif aux mouvements de la société, cet ingénieur (major de Sup' Aero en 1971) diplômé aussi en sociologie et en philosophie répond en souriant : « Le propre d'un système qui marche, c'est d'ouvrir les esprits, mais aussi d'enseigner les codes. »La course en têteVoilà une quinzaine d'années que ce Franco-Malgache est à la tête d'HEC. Il s'était auparavant acquitté d'une tâche ingrate, développer le marketing à la SNCF. Plongé dans une concurrence mondiale, il a réussi à hisser HEC dans les toutes premières places des classements européens, en tête même pour certaines spécialités, distançant les autres français, y compris la prestigieuse Insead de Fontainebleau. « Il y a trois ?clusters? mondiaux dans ce métier, l'Amérique, l'Asie et l'Europe. Un pôle d'excellence mondiale doit être en tête dans l'une des trois régions. » Dans ce métier aussi la puissance émergente est la Chine. La Chine a aujourd'hui les plus gros bataillons d'étudiants, il s'agit de ne pas lui laisser le monopole de la formation de haut niveau. « Ils ont développé leurs business schools en partant de rien, avec un vrai plan stratégique, et ils rattrapent très vite leur retard », explique t-il, en notant que le Japon, à l'époque révolue de son ascension, avait préféré garder son système à lui, avec les universités traditionnelles comme Todaï, et n'a jamais percé à l'échelon mondial.Recrutement uniformeQuelque 380 jeunes gens débarquent chaque année, issus des classes préparatoires les plus sélectives. Cent vingt nouveaux les rejoignent en deuxième année, sélectionnés par les établissements partenaires, notamment à l'étranger. Trop uniforme sur le plan social, le recrutement des élèves ? L'école accueille 12 % de boursiers, ceux qui passent à travers les mailles serrées des classes prépa. Faudrait-il des quotas pour diversifier ? « Attention, ces mesures pourraient finir par pénaliser les bénéficiaires, en donnant le sentiment qu'ils ne méritent pas leur diplôme, répond le patron de l'école. N'oublions pas que c'est le marché de l'emploi et les employeurs qui ont toujours le dernier mot. »