On se fait une déjeunette, ou bien tu préfères ruchonner ?

Stop aux anglicismes. La commission de terminologie du ministère des Finances vient de publier une nouvelle liste de termes francisés, destinés à remplacer les termes anglo-saxons ? autant d'impropriétés qui abondent dans le langage courant, et encore davantage dans le langage de l'économie, où l'influence américaine est considérable. Faut-il y voir une manifestation de ce que les Anglais appellent le « gallic pride », l'orgueil franchouillard ? Traideur dans la nuquePetit florilège tiré du cru 2010. Le désormais banal « trader » a été converti en « opérateur de marché ». La commission propose également le terme plus aventureux de traideur. Le « rogue trading », caractérisant des opérations financières délictueuses, devient bizarrement « négociation pourrie », de la même famille que « obligations pourries » (les junk bonds), qui était beaucoup plus heureux et qui a d'ailleurs pris racine. L'« after work », moment de détente partagé à l'issue d'une journée de travail, se voit changé en « après-bureau ». Pas fastoche. Quant au « deal maker », le voici rebaptisé « négociateur-né ». Elle est pas bonne, ma crusine ? La commission explore également la vie hors du bureau, avec moins de bonheur. Elle propose ainsi le « ruchonnage » pour « hiving », l'art de vivre chez soi tout en restant ouvert sur le monde extérieur. Le célèbre brunch est devenu « déjeunette », sur le modèle un peu risqué de « dînette ». Quant à l'alimentation basée sur des préparations crues ou peu cuites, le « living food », elle sera désormais affublée de l'improbable « crusine ». Déformation progressive Le destin de ces innovations lexicologiques sera bien sûr contrasté. Certaines finiront par prendre ? qui aurait parié, il y a vingt ans, sur le devenir de « restauration rapide » ? Le terme s'est pourtant imposé, à côté de fast-food, qui n'a pas disparu. D'autres seront oubliées avant même d'avoir été utilisées. Les emprunts de mots à l'étranger ont toujours été très fréquents. La plupart du temps, la francisation s'opère toute seule, par le simple jeu de la déformation progressive du terme originel. L'arabe nous a ainsi fourni un contingent considérable de mots nouveaux, soit presque littéralement (le bled, village isolé, ou le vizir), soit avec des transformations importantes (une avanie, offense publique), soit encore via la langue espagnole, qui a été mâtinée d'arabe à cause de la longue période d'occupation que la péninsule Ibérique a connue. Allers-retours avec l'AngleterreLes échanges avec l'Angleterre ont également été très importants, dans les deux sens. Un mot comme « budget » était à l'origine français, il désignait un petit sac. Peu à peu oublié, il a connu une nouvelle vie outre-Manche, où l'on enserrait les écus destinés aux dépenses à venir dans un sac appelé « budget ». Nous l'avons finalement réimporté sous cette nouvelle acception, qui s'est substituée à la précédente... mais le mot initial est bien « made in France ». Même les langues de pays lointains offrent leurs opportunités. Notre « tchin-tchin ! » destiné à souhaiter une bonne santé lors de l'apéritif provient du « jinjin » chinois, qui a le même sens. « Avatar », remis au goût du jour par le film de James Cameron, provient du sanscrit « descente », qui désignait les métamorphoses de la divinité Vishnu. Si nous importons, nous exportons également, y compris outre-Manche, même si le flux s'est considérablement ralenti dans les siècles récents. Notre « déjà vu » et notre « à la mode » poursuivent ainsi une carrière fort honorable dans la langue de Shakespeare. Il n'est pas sûr que « déjeunette » soit aussi résistant.
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