Des supergendarmes oui, mais bien dotés

Plus jamais ça. Mi-novembre 2008, réunis à Washington, les chefs d'État et de gouvernement du G20 s'étaient engagés à « garantir que tous les marchés, tous les produits et acteurs financiers soient soumis à une régulation ou à une surveillance ». Et en particulier les agences de notation, les hedge funds et les produits dérivés échangés de gré à gré... Aujourd'hui, deux ans après la chute retentissante de la banque américaine Lehman Brothers, le compte n'y est pas. Du moins pas encore.L'Europe et les États-Unis se sont bien attachés à réformer en profondeur leur système de régulation pour faire en sorte de combler les brèches. Une nuit ne suffit pas. Le processus législatif prend du temps, et à plus forte raison lorsque les lobbies financier et industriel agitent le chiffon rouge des conséquences néfastes de telle ou telle mesure sur le financement de l'économie ou de la trésorerie des entreprises. Aux États-Unis, la loi Dodd-Frank a été adoptée au début de l'été. Il revient maintenant aux différents régulateurs, parmi lesquels la Securities & Exchange Commission (SEC) et la Commodity Futures Trading Commission (CFTC), d'écrire un peu plus de 500 règles et de conduire des études de faisabilité. Il s'écoulera deux à cinq ans avant que certains volets de la réforme soient appliqués?! Parallèlement, la SEC a ouvert plusieurs chantiers de réflexion sur les pratiques de marché et mis en place des mesures pour encadrer les ventes à découvert.En Europe, seul le règlement sur les agences de notation adopté l'an passé, qui prévoit l'enregistrement et la surveillance sur le Vieux Continent de ces évaluateurs accusés d'avoir sous-évalué certains produits structurés au plus fort de la crise des crédits subprimes, commence à entrer en vigueur. Le dossier hedge funds et capital-investissement fait encore débat, mais États et parlementaires espèrent parvenir à un accord dans les prochaines semaines. S'agissant des ventes à découvert ou encore des dérivés échangés de gré à gré, Bruxelles fera ses propositions demain. L'idée étant qu'à fin 2011 l'ensemble des briques de la maison Régulation européenne aient été posées.Seul l'avenir ou la prochaine crise diront si ces efforts vers plus de transparence et de réduction des risques ont été suffisants et si les exemptions consenties n'ont pas été trop généreuses. Les législateurs pourront dire qu'ils ont fait au mieux. Reste LA question?: celle des moyens financiers alloués aux gendarmes boursiers pour mener à bien leur nouvelle mission. À ce stade, les budgets prévisionnels des futures autorités européennes de supervision, qu'il conviendra il est vrai d'ajouter à ceux des régulateurs nationaux, apparaissent bien maigres.La future autorité en charge des marchés (ESMA), forte d'un effectif de 60 à 70 personnes, pourrait se retrouver dotée pour sa première année - son budget sera revu d'année en année - de 13,66 millions d'euros, financés à 40 % sur le budget européen et à 60 % par les membres, plus 2,5 millions d'euros financés par les agences de notation qu'elle régulera. En France, l'Autorité des marchés financiers (AMF) vient d'obtenir de Bercy la promesse de personnels supplémentaires et la possibilité de rendre ses recettes moins dépendantes de la conjoncture, via notamment ce qui pourrait être appelé une taxe sur les opérations de marché des banques. Ce qui permettrait à l'AMF de pouvoir compter sur un budget de l'ordre de 90 millions d'euros.On est bien loin du milliard de dollars prévu cette année pour la SEC américaine. Certains diront que l'argent n'est pas tout. L'affaire Madoff l'a démontré. Malgré une enveloppe conséquente, le gendarme est passé à côté d'une fraude monumentale. Ses effectifs comptaient trop de juristes et trop peu d'ingénieurs financiers rompus aux dernières innovations financières, capables de décortiquer le moindre produit ou la moindre stratégie complexe. Le défi du régulateur est d'évaluer ses besoins en expertises au regard de ses nouvelles missions. Mais aussi de pouvoir les conserver. Le secteur financier sort de la crise et les banques sortent leur chéquier. Elles pourraient de nouveau recruter au sein des différents superviseurs, s'inquiétait la Financial Services Authority dans son dernier rapport annuel.Le défi est aussi technologique compte tenu de marchés toujours plus rapides, capables d'absorber un nombre croissant d'ordres. L'Europe présente l'avantage de pouvoir mutualiser les coûts de développement de systèmes de surveillance informatique. Mais ce n'est pas encore le cas. Pour les régulateurs comme pour les législateurs, la facture n'est pas simple à établir. Mais elle doit l'être pour que le système de régulation de demain ne pèche par manque de moyens.Par Christèle Fradin, journaliste au service marchés de « La Tribune »
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