L'Europe veut mettre fin à la folie des agences

Par latribune.fr  |   |  1135  mots
Près de 1.600 kilomètres séparent Varsovie d'Athènes. C'est pourtant dans la capitale polonaise que les chefs d'État européens ont choisi d'installer en 2004 le siège de Frontex, l'agence de contrôle de l'immigration aux frontières extérieures. Semblant oublier que la majorité des clandestins qui parviennent chaque année à gagner l'Europe transitent par les pays méditerranéens. « Vouloir opérer des bateaux militaires et des garde-côtes le long des côtes maltaises depuis Varsovie, c'est tout de même un drôle de choix », soupire l'eurodéputée allemande Ingeborg Grässle, membre de la commission budgétaire du Parlement européen. Les dirigeants européens ont fini par se ranger à la raison, en décidant le mois dernier de créer une succursale de Frontex au Pirée. En novembre 2009, ils avaient déjà accepté de créer à Malte le futur bureau européen d'appui en matière d'asile, doté d'un budget de 5 millions d'euros, et qui entrera en service en septembre.Ainsi fonctionnent les agences européennes. Un problème ? Vite, les Vingt-Sept créent une agence, un office, un bureau, un institut, un observatoire ou une autorité... Au total, il existe 28 organismes de régulation communautaires, éparpillés aux quatre coins de l'Europe, de Vigo à Helsinki, d'Héraklion à Parme. Leur mission ? Surveiller les OGM, calculer la durée du travail, assurer l'enregistrement des brevets, contrôler la pêche...Mais ces petites antennes européennes qui avaient pour but, à l'origine, de rapprocher l'Europe des citoyens, finissent par coûter cher : à l'exception de 5 d'entre elles qui s'autofinancent, elles vivent grâce aux subventions communautaires (1,24 milliard d'euros en 2008). Leurs effectifs ont doublé en cinq ans, passant de 2.250 à 4.460. Une progression incontrôlée qui reflète l'« agenciarisation de l'Europe », selon l'expression de Denis Badré, sénateur français et auteur d'un rapport sur le sujet. « Les agences poussent comme des champignons, de façon non raisonnée, au gré des demandes des États membres », s'insurge Véronique Mathieu, députée européenne. Plutôt bien lotie, la France en abrite deux : l'Office communautaire des variétés végétales, à Angers, et l'Agence ferroviaire européenne, implantée à Valenciennes et à Lille. Ce double siège est une particularité qui remonte à la création de l'agence, en décembre 2004 : à l'époque, de peur de se fâcher avec les maires de ces deux villes, de bords politiques opposés, les instances européennes avaient refusé de trancher... Résultat, la Cour des comptes européenne a évalué « le coût additionnel que l'agence pourrait éviter si ses activités étaient concentrées en un seul lieu » à 400.000 euros par an...Inutile pourtant de songer à tailler dans les agences, tant la susceptibilité des États est grande. Or, la décision de créer une nouvelle structure relève directement des chefs d'État. Les sommets européens donnent régulièrement lieu à des empoignades homériques, chaque dirigeant se battant pour obtenir chez lui l'installation d'une nouvelle agence, gage de pouvoirs et d'emplois : en décembre, les Slovènes ont coiffé au poteau les Roumains et les Slovaques, en remportant le siège de la future agence de régulation européenne de l'énergie.« Si le Conseil était vraiment honnête, il accepterait de fermer des agences », rétorque la députée allemande Ingeborg Grässle, qui pointe du doigt leurs missions souvent redondantes. Deux agences, à Thessalonique et à Turin, sont par exemple en charge de la formation professionnelle. De même, Eurofound (à Dublin) et l'Osha (à Bilbao) s'occupent des conditions de travail... En décembre, les représentants de la Commission européenne se sont rendus à Vilnius pour inaugurer en grandes pompes l'Institut pour l'égalité entre les hommes et les femmes, la petite dernière des agences européennes, dotée d'un budget de 52 millions d'euros (2007-2013). « Cette structure risque de doublonner avec l'agence des droits fondamentaux de l'Union européenne, créée en 2007 à Vienne », remarque l'eurodéputée Véronique Mathieu.L'autre urgence, tout aussi difficile à mettre en oeuvre, est le contrôle de ces agences. Car les dérapages se multiplient. Souvent trop petites en taille et débordées par les tâches administratives, les agences communautaires ont bien du mal à respecter les règles imposées par Bruxelles. Et sont souvent tentées d'en faire à leur guise. Surestimations des besoins de trésorerie, profusion de recrutements, absence de transparence dans les appels d'offres abondent dans les rapports de la Cour des comptes qui leur sont consacrés. L'agence chargée de la reconstruction dans les Balkans a par exemple signé un chèque de 1,4 million d'euros à l'Unicef. Une opération « entachée d'irrégularités », relève le gendarme européen : « Aucune des conditions formelles requises pour l'octroi d'une telle subvention n'a en l'occurrence été respectée. » À Londres, c'est l'Agence européenne des médicaments qui est montrée du doigt, après des pertes de 8,7 millions d'euros sur des contrats de change à terme... Inversement, la Cour des comptes européenne dénonce le matelas de trésorerie que s'est constitué l'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (Ohmi), lequel dépassait, fin 2008, 400 millions d'euros... Grâce à ce pécule, l'agence basée à Alicante a empoché 20 millions d'euros d'intérêts bancaires en 2008.Il arrive aussi que les agences franchissent la ligne jaune. C'est le cas du Cepol, le Collège européen de police, implanté dans la grande banlieue londonienne, qui fait actuellement l'objet d'une enquête de l'Olaf, l'organisme anticorruption de l'Europe. Deux de ses employés sont accusés d'avoir détourné de l'argent à des fins privées. Discrètement, le directeur suédois de l'agence a quitté son poste fin janvier (soit un an avant la fin de son mandat) et a été remplacé par l'ancien numéro deux de la police hongroise. Pour marquer son mécontentement, la Commission a coupé le budget du Cepol, lui ôtant 1 million d'euros de subventions. Le scandale a rappelé aux dirigeants européens qu'il était urgent de réformer le mode de fonctionnement des agences européennes. Les Vingt-Sept se sont entendus en 2009 pour mettre le frein sur les subventions et les recrutements. Quant au président de la Commission, il a convoqué le mois dernier l'ensemble des directeurs d'agences pour « un échange de vues sur l'approche future de l'Union européenne en matière de gouvernance des agences ». Un jargon très bruxellois qui cache mal la volonté de reprise en main de ces créations européennes devenues incontrôlables. Éric CholPour rapprocher l'Europe des citoyens, Bruxelles a créé des agences décentralisées aux quatre coins du continent. Coûteuses et mal contrôlées, ces agences multiplient les dérapages, obligeant la Commission à revoir leur gouvernance.