Wuppertal, une ville allemande malade de sa dette

Le 5 mai dernier, Angela Merkel arrive à Wuppertal, une ville de 350.000 habitants au sud de la Ruhr, pour un des derniers meetings de la campagne électorale avant l'élection cruciale régionale de Rhénanie-du-Nord-Westphalie. En pleine crise de la zone euro, elle vient soutenir, devant la mairie, le candidat de la CDU. Mais l'accueil est glacial : sifflets, sirènes et cris interrompent son discours. La chancelière finit son discours en hâte. À quelques pas de là, l'opéra de la ville affiche alors, non sans ironie, le programme de son « festival grec ».Car la raison de cette colère, c'est que Wuppertal est à l'Allemagne ce que la Grèce est à l'Europe. Une ville de facto en faillite. Deux milliards d'euros de dettes en 2010, un déficit de 252,5 millions d'euros et des fonds propres de 300 millions d'euros. Les dépenses de la commune sont désormais sous la surveillance étroite du Land et les autorités municipales ont présenté un plan d'assainissement des finances publiques digne de celui d'Athènes. Il s'agit de réduire le déficit structurel de la ville de quelque 80 millions d'euros en quatre ans. L'auteur de ce coup de serpe budgétaire, c'est le trésorier de la ville, Johannes Slawig. « Nous réduisons fortement nos dépenses non obligatoires », résume-t-il, avant d'égrener la longue liste des mesures envisagées : jardins d'enfants, zoo et bibliothèques plus chers, un employé municipal sur deux partant en retraite remplacé, réduction des horaires d'ouverture des services de la ville, fermeture de cinq piscines, réduction des subventions, économies sur l'éclairage municipal, l'entretien des monuments, des bâtiments et des espaces verts... Avec ce programme, qui comporte également la fermeture de l'un des deux théâtres de la ville, Wuppertal est devenu outre-Rhin le symbole de la misère financière des communes allemandes qui, cette année, cumuleront 15 milliards d'euros de déficit.Comment en est-on arrivé là ? « La ville a manqué son tournant structurel », résume Uwe Mensch, directeur de la chambre de commerce et d'industrie. L'industrie textile, après avoir fait la fortune de l'ancienne « Manchester allemande », est devenue sa malédiction. « Nous avons perdu en vingt ans la moitié de notre industrie », renchérit Uwe Mensch. Malgré la présence de quelques PME performantes à l'export, Wuppertal est une zone sinistrée économiquement. Le chômage y est supérieur de 4 points à la moyenne nationale et on y compte 46.000 chômeurs de longue durée. « 20 % de la population vivent au-dessous du seuil de pauvret頻, affirme de son côté Harald Thomé, responsable de l'association d'aide sociale Tacheles. Du coup, le piège s'est refermé sur Wuppertal. Depuis dix ans, alors que la population chutait de 50.000 habitants et que l'activité économique restait médiocre, la ville a dû assumer de nouvelles dépenses obligatoires, notamment le logement des chômeurs de longue durée.Alors, aujourd'hui, on craint que le programme d'économie ne vienne encore aggraver la situation. Harald Thomé, responsable d'une association d'aide sociale, estime ainsi que l'attractivité de la ville pour les classes moyennes est réduite, tandis que les couches les plus pauvres sont plus fragilisées. « On aggrave encore le problème de la ville et on favorise une situation de ghettoïsation de certains quartiers », résume-t-il. Barbara Hüppe, membre du collectif « Wuppertal se défend » qui a organisé la mobilisation contre ce plan, dénonce les économies faites sans réflexions, notamment dans le domaine de la prévention sociale. Elle aussi redoute les conséquences sociales sur une ville qui est menacée. Car le processus de paupérisation pourrait menacer encore les finances communales.À l'hôtel de ville, Johannes Slawig n'est guère impressionné par les protestations. Selon lui, la majorité des habitants comprend la nécessité de faire des économies. Et lorsqu'on lui demande si son plan ne va pas trop loin, le maire répond par des chiffres : les économies prévues ne permettront pas de revenir à l'équilibre, elles sont donc insuffisantes ! Pourtant, il ne faut pas longtemps pour prendre conscience des effets de la situation financière de la commune. Dans les faubourgs, les herbes folles surgissent des bas-côtés et la rouille a fait des parcs de jeux son domaine. Mais c'est peut-être dans le domaine culturel que le phénomène est le plus palpable. Wuppertal, qui, outre un opéra et un théâtre, héberge la troupe chorégraphique de Pina Bausch, avait fait de la culture un atout.Aujourd'hui en sursis. Enno Schaarwächter, directeur des Scenes de Wuppertal, sait qu'il va devoir compter avec une subvention de la ville rabotée de 20 %. « Cela signifie renoncer à une partie de notre offre », affirme-t-il, tout en espérant compter sur la coopération avec les villes voisines ou le soutien du Land. Non loin de l'opéra se dresse la « maison Friedrich Engels », en hommage au compagnon de Karl Marx né ici en 1813 dans une famille d'industriels du textile, qui abrite un musée des débuts de l'industrialisation et une collection assez vieillotte sur le « grand homme ». Eberhard Illner, le directeur, a beaucoup de projets pour moderniser et dynamiser son musée, mais il « n'a plus d'argent ». La ville a réduit sa subvention par deux. « Pour le moment, nous tenons grâce au soutien de fonds privés, mais il faut être attentif à toutes les dépenses », affirme-t-il. Et lorsque l'on évoque la fermeture du lieu à terme, il doit reconnaître ne pas pouvoir « exclure cette possibilit頻.Reste que la fermeture du théâtre a joué le rôle de détonateur au niveau local et national. « Beaucoup de gens qui ne viennent pas au théâtre ou à l'opéra se sont mobilisés et ont pris conscience que l'offre culturelle était une partie essentielle de la vie de leur ville et qu'ils en étaient fiers », constate Enno Schaarwächter. Barbara Hüppe affirme que l'action de son collectif a permis « de changer la perception du problème » dans l'opinion publique. Car, pour elle, le problème est de mettre Land et État fédéral devant leurs responsabilités. C'est d'ailleurs une volonté partagée par tous. Ainsi, Johannes Slawig ne cache pas que son plan visait aussi à provoquer une prise de conscience à Düsseldorf comme à Berlin. Nul ne demande, à Wuppertal, que les communes perdent des compétences, mais chacun veut qu'elles puissent les assumer par une meilleure répartition des recettes fiscales. Une commission fédérale a été formée sur le sujet, mais, comme le souligne Johannes Slawig, grâce à Wuppertal, « l'Allemagne ne sera plus comme auparavant ».Romaric Godin, à Francfort
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