La prime de risque italienne est injustifiée. Sauf que...

Rien ne met plus en rage Mario Monti que cette confusion que font les marchés entre son pays et les autres économies du « sud » de l\'Europe : Grèce, Portugal et surtout Espagne. C\'est du reste l\'argument martelé par les dirigeants italiens depuis des mois : la prime de risque payée par l\'Italie, près de 140 points de base de plus que l\'Allemagne, est « injustifiée ». Elle ne serait le fruit que d\'une « confusion » entre les deux grands pays méditerranéen. Et un examen minutieux semble donner raison à l\'hôte du palazoo Chigi.Un endettement fort, et alors ?Sur quels critères juger de cette prime de risque ? Très simplement sur la capacité de l\'Etat italien à rembourser ses créanciers. C\'est bien là le « risque » que font payer à Rome ses prêteurs. Pour évaluer cette capacité, il faut donc d\'abord examiner l\'état des comptes publics italiens. Or, ces comptes sont loin d\'être aussi dégradés que le prétend cette prime. Certes, l\'Italie a un taux d\'endettement public record en Europe (hors Grèce) à 123,5 % du PIB attendu en 2012. Mais le phénomène est loin d\'être nouveau. La dette a dépassé les 100 % du PIB en 1992 et n\'est jamais redescendu au deçà de ce seuil depuis. Une dette publique plus forte que la moyenne de ses grands partenaires est en réalité une des caractéristiques de l\'histoire économique italienne. Une particularité qui n\'a pourtant pas empêcher le « miracle économique » de l\'après-guerre. Ni le respect des engagements vis-à-vis de ses créanciers.Un très bon payeurSelon les données publiées par les économistes américains Rogoff et Reinhart, dans leur best-seller This Time Is Different, l\'Italie a en effet connu depuis sa création en 1861, un seul événement de crédit et sa dette a été restructurée pendant 3,4 % du temps de son existence. C\'est bien mieux que l\'Allemagne, pays créé dix ans plus tard, qui cumule huit événements de crédit et une dette restructurée ou non payée pendant 13 % du temps de son existence. Le cas de l\'Espagne, avec ses treize défauts et sa dette restructurée pendant 24 % des deux derniers siècles n\'a rien de comparable, pas plus que celui de la Grèce qui a restructuré sa dette pendant la moitié des 181 années d\'existence. Bref, l\'Italie est un très bon payeur. Certes, plus la dette augmente, plus le risque de défaut est mécaniquement fort, mais l\'histoire du crédit public italien plaide en faveur de ce pays. Et l\'Italie est un des rares pays qui font l\'objet d\'une défiance chronique du marché tout en ayant presque toujours remboursé ses dettes.Un faible endettement privéDeux éléments devraient du reste rassurer les investisseurs. D\'abord, si la dette publique italienne est forte, les ménages et les entreprises de la péninsule sont très peu endettés. Moins en tout cas qu\'en France ou en Espagne. En Italie, l\'endettement des ménages atteint 65 % du revenu disponible, soit 35 points de moins que la moyenne de la zone euro. Et il recule régulièrement. Selon la Banque d\'Italie, seuls 27,7 % des ménages italiens ont contracté des dettes et, selon BNP Paribas, la richesse nette des Italiens est égale à près de 8 fois le revenu disponible, un niveau « très élevé au regard des standards internationaux ». Bref, l\'Etat italien peut s\'appuyer sur un « matelas de sécurité » qui n\'existe pas en Espagne.Un budget bien géréDeuxième élément positif : le budget italien est plutôt bien géré. Les administrations publiques n\'ont accusé de déficit primaire en dix ans, autrement dit en excluant le service de la dette, qu\'en 2009 et 2010 (cette dernière année, le budget primaire était quasiment en équilibre). Selon la commission européenne, l\'Italie n\'a jamais connu sur cette période de déficit primaire structurel, hors effet de la conjoncture. Autrement dit, le coût de fonctionnement de l\'Etat italien est plus que couvert par ses recettes. Une situation qui ferait rêver l\'Espagne et la Grèce, mais aussi la France ! Quant au déficit général des administrations publiques de l\'Italie, il est important, mais il n\'a jamais connu l\'embrasement du déficit français de 2007 à 2010 : il était de 3,9 % à fin 2011 contre 5,4 % en pleine crise en 2009. Ce niveau maximal pour l\'Italie était celui dont s\'enorgueillissait le précédent gouvernement français pour 2011. Là encore, pas de quoi réclamer rationnellement une prime à l\'Italie.Pas de bulle immobilièreMais on le sait, la prime de risque dépend également de la structure économique du pays. L\'Espagne du milieu des années 2000 dégageait un excédent budgétaire et était peu endettée. Le transfert de la dette privée, notamment celle des banques touchées par l\'éclatement de la bulle immobilière, vers l\'Etat a conduit aux déboires de Madrid. En Italie, rien de tel : il n\'y a pas de bulle immobilière et le secteur bancaire italien n\'est certes pas des plus solides, mais on ne trouve pas en Italie des risques comparables à ceux portés par les caisses d\'épargne espagnoles ou les banques privées grecques.Un déficit courant inquiétant...Certes, il y a des sujets de préoccupation, notamment l\'incapacité de l\'économie italienne a créé de la croissance, donc de la richesse, ce qui permet à l\'Etat de bénéficier de rentrées fiscales supplémentaires. Selon l\'Istat, l\'Insee italienne, la croissance du PIB entre 2000 et 2009 n\'a été que de 1,2 % en tout, soit dix fois moins qu\'entre 1990 et 2000. Quant à la balance des paiements, elle est déficitaire depuis 2000. En 2011, ce déficit a atteint 3,5 % du PIB, soit 0,8 point de plus que la France. Preuve que, malgré la richesse des ménages, l\'Italie doit faire financer son économie par l\'étranger. L\'Etat lui-même est donc plus dépendant pour son financement des créanciers extérieurs et c\'est un élément de préoccupation des agences de notation qui, il est vrai, justifie le paiement d\'une prime....mais une industrie très compétitiveLà encore pourtant, il faut relativiser. L\'Italie ne souffre pas des mêmes maux que l\'Espagne. Elle est largement moins désindustrialisée que la majorité du continent. En Italie, l\'industrie réalisait selon Eurostat en 2009 19 % de la valeur ajoutée nationale contre 15,3 % en Espagne et 12,5 % en France. C\'est juste un peu moins que les 22,4 % de l\'Allemagne et cette part grandit encore. Les entreprises industrielles, notamment les PME du nord, ont une compétitivité égale au Mittelstand allemand et exportent très bien leurs produits. L\'industrie italienne, notamment le secteur des biens intermédiaires, dégage un large excédent commercial (20 milliards d\'euros en juin dernier sur un an) qui permet à la balance commerciale italienne d\'être proche de l\'équilibre en juin. Selon la commission européenne, le déficit commercial était de 1 % du PIB en 2011 en Italie, et on l\'a vu, il s\'améliore, contre 3,7 % du PIB pour la France qui, chaque mois bat des records négatifs. Autrement dit, le problème de l\'Italie n\'est un problème de compétitivité industrielle et son déficit de la balance des paiements ne s\'explique pas par un large déficit commercial comme c\'est le cas de l\'Espagne et de la France. Cela dénote un potentiel de croissance important qui devrait en théorie modérer la demande de sécurité des créanciers.« Club Med »Difficile de ne pas donner raison à Mario Monti lorsqu\'il fustige l\'ampleur de la prime de risque réclamée à Rome. En réalité, cette défiance des marchés vis-à-vis de l\'Italie est une constante. Même dans les débuts de la zone euro, lorsque les taux s\'égalisaient entre les pays de l\'UEM, l\'Italie n\'a jamais vraiment convaincu les marchés et n\'a jamais pu afficher une décote face à l\'Allemagne, comme l\'ont fait l\'Espagne ou le Portugal. Tout se passe comme si les investisseurs, par a priori, ne peuvent arracher l\'Italie des pays du « Club Med » fustigé par la Bundesbank à la fin des années 1980. En dépit des faits.Dépendance croissante vis-à-vis des marchés internationauxLes Italiens ont sans doute des responsabilités dans cette situation. les nombreuses dévaluations de la lire durant l\'après-guerre ont échaudé les marchés, de même qu\'une vie politique qui n\'a sans doute pas été à la hauteur de cette grande économie. L\'instabilité ministérielle, les frasques de Silvio Berlusconi, l\'incapacité des gouvernements successifs de réformer le pays ont pesé sur la confiance des marchés. Mais là encore, il est difficile d\'y voir une raison de sanctionner l\'Italie au niveau de l\'Espagne. La Belgique ou les Pays-Bas connaissent aussi l\'instabilité politique et la classe politique française n\'a rien à envier à sa voisine transalpine dans son peu de crédibilité et d\'envie de faire des réformes. En réalité, l\'erreur des Italiens a été de financer de plus en plus son endettement par les investisseurs internationaux dans les années 2000 parce qu\'ils se contentaient de taux plus avantageux que les Italiens. Certes, aujourd\'hui, la dette italienne demeure une des plus « nationales » d\'Europe, mais elle dépend à 44 % des marchés internationaux. Dès lors, Rome a dû dépendre de créanciers qui, intrinsèquement, se méfient d\'elle.Crise économiqueOr, depuis l\'arrivée au pouvoir du « gouvernement technocratique », la situation de l\'économie italienne se dégrade. L\'austérité sévère imposée par l\'ancien commissaire européen a plongé le pays dans une récession profonde. Depuis un an, le pays voit son PIB se contracter de 0,7 % à 0,8 % par trimestre. Une dégradation qui pèse sur les performances de l\'industrie et sur les bilans des banques. Les investisseurs s\'inquiètent de plus en plus : avec une telle dégringolade du PIB (- 2 % attendus cette année), la consolidation budgétaire n\'en sera que plus difficile. C\'est donc sans doute avec raison cette fois que les investisseurs se détournent du papier italien. C\'est donc la politique économique italienne actuelle qui semble confirmer leurs a priori.Cercle vicieuxC\'est alors que s\'enclenche un cercle vicieux très dangereux : les banques italiennes doivent racheter les titres d\'Etat et font à leur tour l\'objet de défiance quant à leurs bilans. Leurs taux de refinancement montent en flèche, elles coupent le robinet du crédit et asphyxient davantage l\'économie. Face à cette situation, le gouvernement Monti lance, pour retrouver la confiance, de nouveaux plans d\'économie toujours plus sévères. Lesquels aggravent encore la situation économique, donc le financement de l\'Etat. Et la défiance des marchés. Malgré les bons fondamentaux de l\'Italie, l\'inquiétude des marchés n\'est donc pas aujourd\'hui entièrement injustifiée.Niveau de taux insupportable ? Reste que si la prime vis-à-vis de l\'Allemagne est sans doute trop forte, le niveau des taux italiens n\'est pas historiquement haut. Le plus bas historique des taux à 10 ans italiens date de septembre 2005 et se situe à 3,2 %. Le rendement actuel n\'est donc que de 1,6 point de plus. Depuis 1993, le taux moyen italien à 10 ans est de 6,1 %. La prime semble donc aussi bien s\'expliquer par la baisse des taux allemands que par la hausse des taux italiens. Ces taux sont certes élevés, mais leur niveau n\'est pas absolument insupportable pour le budget transalpin. Sauf évidemment si l\'on poursuit une politique qui contribue à baisser les recettes.Le rachat de titres par la BCE et le MES, une fausse solutionDu coup, la demande de Mario Monti de baisser les taux par une intervention européenne semble peu justifiée. Une telle intervention ne réglerait rien en soi. Elle ne rétablira pas la confiance dans l\'Italie, loin de là. Elle contribuera au contraire à faire dépendre le financement de l\'Etat italien de la BCE et de l\'UE et renforcera la part des titres à court terme dans ce financement, ce qui n\'est pas très rassurant. Au final, il y a fort à parier qu\'une telle intervention ne doivent être indéfiniment renouvelée, ce qui ne sera pas possible. Alors, Rome aura bien du mal à trouver des moyens de se financer. Sans compter que cette intervention se fera sans doute encore au prix de nouveaux tours de vis budgétaires qui contribueront encore à saper la confiance dans les titres italiens et la capacité de remboursement de l\'Etat.La stratégie MontiTout se passe donc comme si Mario Monti cherchait surtout à dissimuler l\'échec de sa politique de « tout austérité » par une politique européenne agressive. Mais en s\'entêtant, il risque de donner raison aux marchés qui ont sans doute aujourd\'hui en grande partie tort de se méfier de l\'Italie. Ce dont le pays a besoin, c\'est une politique économique apaisée, équilibrée entre les réformes nécessaires et le soutien essentiel à la croissance. Une politique que l\'ancien commissaire européen semble incapable de mener.  
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