Transsibérien : À bord du mythe

Par latribune.fr  |   |  531  mots
À peine la douane de l'aéroport de Moscou franchie, et déjà, une caméra braque son objectif. C'est la première, ce ne sera pas la dernière. Étonnament, toutefois, ce n'est pas aux écrivains les plus renommés invités du Transsibérien Blaise Cendrars que la télévision russe s'intéresse en premier. La quintessence de la littérature contemporaine française est pourtant bien représentée. Un académicien, de multiples primés (Renaudot, Prix Inter, Goncourt...), des directeurs de collection, les auteurs des plus prestigieuses maisons d'édition (Gallimard, Grasset, Actes Sud, Le Seuil, Minuit, Verticales...), la liste des passagers a belle allure.Géraldine Dunbar capte l'attention. Ce voyage, elle en rêve depuis deux ans. En 2004, elle a déjà fait le trajet « Seule sur le Transsibérien » - et raconté son aventure dans un livre. Elle a harcelé Cultures France pour monter à bord de ce train. Russophile émerveillée, elle parle russe couramment, les journalistes moscovites sont ravis.Certains auteurs sont des passionnés de la Russie, tel l'académicien Dominique Fernandez : à 80 ans, il en est à son vingt-cinquième voyage - une à deux fois par an, il visite Moscou ou Saint-Pétersbourg. Avec son complice, le photographe Ferrante Ferranti et Danielle Sallenave, tous trois connaissent Nijni Novgorod, mais n'ont jamais encore poussé plus avant vers l'est. Pour d'autres, c'est un lien familial qui les motive. La mère d'Eugène Savitzkaya était russe - « adolescente, elle a été enlevée et envoyée en Pologne pendant la guerre, avant d'émigrer en Belgique ». De son histoire, elle n'a rien raconté. La grand-mère du poète Guy Goffette, directeur de collection chez Gallimard, aussi, était née en Russie. « J'ai grandi en Lorraine dans une maison, rue de la Pointe-de-Sibérie. » Pour Minh Tran Huy, c'est son mari, Alexandre Sumpf, historien, qui est un spécialiste de la Russie ; ils se sont fiancés à Moscou. D'autres, comme Jean-Noël Pancrazi et Patrick Deville, n'ont ni projet ni intention arrêtés. Idem pour Jean Echenoz et Wilfried N'Sondé. Maylis de Kerangal, Mathias Enard, Sylvie Germain et Olivier Rolin, eux, doivent écrire des fictions radiophoniques pour France Culture (*). Peu avant le départ, les cassandres germanopratins se gaussent : « Seize écrivains dans un train pendant vingt jours, ça virera forcément au cauchemar... un loft d'intellos ferroviaire, n'importe quoi... » Légère appréhension. Bien sûr, il est toujours possible de descendre d'un train, mais il faudrait alors renoncer à son rêve d'enfant. Promenade nocturne sur la place Rouge. Les milliers d'ampoules scintillent sur la façade du Goum. Les touristes se photographient en groupe devant la cathédrale de Basile-le-bienheureux. « Tout ici désormais paraît factice », s'attriste Danielle Sallenave.Tacata tacatam, il ne reste plus qu'à se laisser bouleverser par la Russie de la fenêtre du train, ouvrir grand sles yeux, le nez collé à la vitre.(*) Voyage en Transsibérien, tous les jours sur France Culture, du 26 juillet au 26 août, à 13 h 30, avec Mathias Enard, Maylis de Kerangal, Sylvie Germain, Olivier Rolin, accompagnées d'une interview de Jean Echenoz. Une série réalisée par Cédric Aussir.