L'analyse d'Erik Izraelewicz : la folie régulatrice

Ré-gu-lons. Depuis que la crise des subprimes a explosé, il est une ambition qui fait consensus, à gauche comme à droite, en Amérique comme en Europe : c'est la nécessité de réguler la finance mondiale. L'idée est simple. Au cours des trente dernières années, la finance s'est mondialisée, mais pas ses règles du jeu, ni ses institutions de surveillance. Il y a finalement désormais, si l'on peut se permettre la métaphore, un seul terrain de foot (la planète finance), mais sur ce terrain, il y a des équipes qui jouent avec des règles et des arbitres différents -- quand elles en ont. C'est ce décalage entre une finance mondialisée et des règles, quand elles existent, restées nationales qui serait, très profondément, à l'origine de la crise. Il faut donc doter le monde d'une régulation globale, adaptée à cette finance devenue globale. C'est tout le travail qu'ont initié, depuis dix-huit mois, les dirigeants du G20. Un travail salutaire, une source d'illusions aussi. Des règles publiques, globales et transversalesLe déroulement de la crise a démontré la nécessité d'introduire dans le fonctionnement de la finance mondiale davantage de règles publiques d'abord, globales ensuite, transversales enfin. Un : des règles publiques. La sécurité et la stabilité du système financier mondial sont des biens publics mondiaux. Elles ne peuvent être abandonnées aux seules forces du marché. L'autorégulation, celle assurée par les acteurs privés eux-mêmes, ne saurait suffire. On ne peut laisser les comptables seuls fixer les règles de la comptabilité, ni les traders délibérer seuls, entre eux, des niveaux de leurs rémunérations. Il y va de l'intérêt général. Les dirigeants politiques, porteurs de cet intérêt-là, ont donc toute légitimité à intervenir dans la fixation de ces règles du jeu. Deux : des règles globales. Il n'est plus possible de laisser chacun jouer en fonction de ses propres règles. Il faut instaurer des règles communes, universelles, applicables à tous les acteurs qui prétendent jouer sur l'ensemble du terrain. C'est l'une des conditions d'un bon fonctionnement de la concurrence. Trois : des règles transversales. La finance ne saurait être considérée comme un champ autonome de la vie économique, complètement indépendant des autres. La finance est un maillon. Elle fonctionne avec des marchés, des monnaies et des entreprises. Elle fait travailler des hommes, des machines et des réseaux. La régulation de la finance mondiale doit donc se concevoir en relation avec celles des systèmes monétaire, commerciaux, sanitaire ou sociaux. Pas question de rêver à un hyperrégulateur global et unique ? un gouvernement mondial. L'enjeu est d'imaginer une articulation pertinente entre toutes ces régulations. Inutile d'inventer une régulation financière hypersophistiquée si celle-ci peut être contournée par le jeu des monnaies, des règles fiscales différentes ou un cadre commercial inadéquat. Un balancier qui irait trop loin Une fois ces grands principes énoncés, c'est bien sûr leur mise en oeuvre qui pose problème. Le risque, à chaque fois -- et on le ressent dans les débats en cours --, c'est que le balancier n'aille trop loin. Une régulation étatique qui éliminerait toute forme d'autorégulation, une régulation globale qui imposerait à tous (par exemple à toutes les banques du monde, américaines, chinoises ou européennes) exactement les mêmes règles, une régulation financière qui prétendrait intégrer en son sein toutes les contraintes (monétaire, sociale ou commerciale), ce serait une régulation assassine, une forme de dangereux Big Brother. La régulation financière doit encadrer le risque, elle ne doit pas le tuer. Sans risque, il n'y a pas d'économie, il n'y a pas de croissance. Les débats en cours sur les fonds propres des banques, sur les investissements des assureurs-vie ou sur le fonctionnement du capital-investissement en Europe comme aux États-Unis laissent craindre ce type de dérives. Trois grandes illusionsÉviter ces dérives n'y suffira pas. Avant même que de nouvelles règles du jeu ne s'imposent, que de nouveaux arbitres ne s'installent, trois illusions doivent dès à présent être dissipées. Croire que les nouvelles régulations nous éviteront de nouvelles crises est une erreur. Le krach de 1929 a généré une frénésie régulatrice comme celle d'aujourd'hui, cela n'a pas empêché, au cours du XXe siècle, de nouvelles crises. La fièvre régulatrice a ensuite souvent tendance à ne s'attaquer qu'à la partie visible de la crise, à laisser de nouveaux trous noirs se développer. On va réguler les banques, c'est sûr, les encadrer, les surveiller, mettre auprès de chacune d'elle un gendarme, bravo. Pendant ce temps-là, on assiste, avec les nouvelles plates-formes alternatives -- et sans que personne ne s'en alarme vraiment -- à une explosion des marchés financiers sans règles (on dira à « régulation allégée ») ! C'est de là ou du micro-crédit, des non-banques ou d'ailleurs encore, que viendront les prochaines crises. Alors, ré-gu-lons, d'accord. Mais attention à ne pas aller trop loin, à ne pas se faire trop d'illusions non plus.
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