Scandale des viandes : "c'est très regrettable, mais il ne faut pas généraliser"

Au début du scandale de la viande de cheval, vous disiez ne pas croire à “un vaste trafic de viande en Europe“, or, des fraudes ont révélés plusieurs filières posant problème. Avez-vous révisé votre jugement ?Jean-Paul Simier  :  Non. Je suis un scientifique, je regarde les chiffres. J’ai refait le calcul. D\'après ce que nous savons, il y a 1000 tonnes de viande concernée. Sur les 42 millions de tonnes consommées chaque année dans l\'Union européenne, cela ne représente que 0,0002% du total. C’est une goutte d’eau dans l’océan qui va certes concerner des milliers de gens parce que des milliers de plats sont ensuite touchés, mais cela reste marginal. Comme les accidents de voiture, ce n’est pas parce qu’il y en a que ça doit empêcher les gens de conduire. Je ne suis pas le seul à dire cela. Les gens qui connaissent bien le sujet partagent le même avis.Même si cela ne concerne qu’une minorité d’acteurs, l’accumulation des cas jette tout de même le discrédit sur toute une filière… Je ne minore pas l’importance du cas. Je trouve ça très grave. C’est très pénalisant pour l’ensemble de la filière, mais il ne faut pas généraliser. C’est injuste pour tous les gens qui travaillent correctement. On va finir par faire entrer l’idée dans les esprits qu’il y a un problème majeur dans la qualité des produits. Je le conteste totalement. Je le répète, les standards de sécurité en Europe font partie des plus élevés d’Europe.Pour éviter de nouvelles fraudes impliquant des intermédiaires, comment encadrer l\'activité des très nombreux intermédiaires intervenants dans le commerce de la viande?Il faudrait un vrai enregistrement des traders aux registres du commerce et, encore une fois, un contrôle des produits renforcé. Mais c’est à nouveau une question de convergence européenne. On pourrait le faire en France, mais si on ne le fait pas aux Pays-Bas, cela aura peu d’impact…Quelles pistes faut-il suivre pour qu\'une telle crise de confiance ne se reproduise plus?Il faut renforcer les contrôles en Europe et à l’échelle de la planète. Attention, tout ce qui est importé n’est pas mauvais. Mais il est vrai que si les standards de qualité convergent en Europe, il reste encore des disparités. Les contrôles sont très importants de l’élevage à l’abattoir, moins après. Il faut renforcer la traçabilité en aval. Mais accepter aussi d’en payer le prix. Si les gens veulent des produits de qualité, il faut qu’ils acceptent de payer plus cher.Par ailleurs, le gouvernement tente de pousser davantage pour identifier l’origine des produits. C’est sur les plats cuisinés qu’il y a le plus de problèmes. Le consommateur doit savoir que plus il achète de produits transformés, plus il y a de risques. Et je rappelle que la grande majorité de la viande échangée en Europe n’est pas transformée mais brute. Les tests ADN aléatoires vont devenir systématiques, un peu comme le risque de redressement fiscal, cela devra agir pour limiter la tentation de tricher. Si demain, on mentionne l’origine de la viande contenue dans ces produits, cela va obliger le distributeur à contrôler ce qui s’y passe. Mais il faudra aussi imposer des règles sur les produits venant de l’extérieur de l’Union européenne. Un accord de libre-échange vient d’être signé avec le Canada dont presque personne n’a parlé. Une autre est en cours de négociation avec les Etats-Unis où est produite de la viande hormonée et où les OGM sont très bien acceptés… On dit que cette libéralisation des échanges peut accroître la croissance mondiale et les traders de viande y sont très favorables, mais comme on est loin de la convergence sanitaire, cela peut poser de grands problèmes. Or, je ne vois pas les Etats-Unis renforcer ses normes ni l’Union européenne abaisser les siennes. Il y a là un enjeu énorme.La France notamment fait campagne à Bruxelles pour que l’origine des viandes soit mentionnée sur les étiquettes des produits transformés. Mais cela fait débat à Bruxelles. Qu’est-ce qui bloque ?Globalement, les pays du Nord où le trading est plus fréquent s\'y opposent. Et des groupes d’intérêt économiques, représentants surtout les deuxième et troisième degrés de transformations,  s’y opposent aussi car cela permet de conserver des sources d’approvisionnement plus importantes afin de jouer un maximum sur les prix et les quantités. Or, même s’il y a bien sûr de la viande de très bonne qualité provenant de Roumanie ou d\'ailleurs, cela risque de pousser les consommateurs à se poser des questions. Lire sur une étiquette “merguez d’agneau de Nouvelle Zélande“ conduirait le consommateur à se demander “tiens, pourquoi la viande vient-elle de si loin ?“ A l’inverse, les producteurs comme la France se montrent davantage protectionnistes et sont donc plus favorables.Cet étiquetage détaillé vous paraît-il nécessaire?Pour le consommateur oui. Vous n’allez pas boire du vin sans savoir si c’est du Bordeaux ou du Bourgogne. De la même manière, il me paraît important de savoir d’où viennent les produits.Quel pourrait en être l’intérêt pour les industriels?En France, un pays où l’agroalimentaire a un poids très important, notre intérêt économique rejoint celui du consommateur. On a tout intérêt à réintégrer de la valeur dans le produit, y compris de la valeur symbolique et, même dans la grande distribution, à monter en gamme. * Jean-Paul Simier, directeur agroalimentaire au sein de l\'agence Bretagne Developpement innovation rédige régulièrement des rapports sur le marché international de la viande.
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