Danton à Bruxelles : une révolution de l'audit ?

Le commissaire Barnier, avec un enthousiasme révolutionnaire insoupçonné, a récemment paraphrasé Danton en décrétant que 2011 était pour l'audit européen « l'année de l'audace ». Ses orientations politiques fortes peuvent se résumer dans une formule choc « Le statu quo n'est pas une option. »Cet élan communautaire n'est ni à surestimer (l'expérience a montré que la mobilisation politique était de courte durée sur un sujet aussi technique) ni à sous-estimer (par comparaison avec la ligne politique fuyante du prédécesseur de M. Barnier). Il pourrait toutefois marquer un vrai tournant dans l'organisation des métiers du chiffre en Europe et dans la conception même du rôle de l'audit dans notre économie, si la directive annoncée pour novembre 2011 traduit la volonté affichée par le commissaire. Je voudrais retenir du programme de Michel Barnier quelques points qui paraissent essentiels.Au fond, que nous dit Michel Barnier ? Tout d'abord, que l'Europe ne peut avoir un vrai rayonnement international, notamment au sein du normalisateur (l'IASB), que si elle est au clair avec sa propre philosophie de l'audit et des normes comptables. C'est une véritable affirmation d'identité, indispensable si l'on veut que le normalisateur international ne soit pas qu'un relais des positions américaines et des quatre grands cabinets d'audit dits internationaux. Le nouveau président de l'IASB, un Européen, Hans Hoogervorst, ne s'y est d'ailleurs pas trompé en affirmant que le normalisateur ne saurait être légitime que s'il est totalement indépendant des Big Four.Pour revenir à l'Europe elle-même, Michel Barnier souligne que le métier de l'audit ne doit pas se résumer au dialogue un peu complice entre la techno-structure des grandes entreprises cotées et les firmes d'audit qui, par leur mode de désignation, la durée de leur mandat et leur vision « mondiale » (c'est-à-dire peu européenne), font « partie de la famille ». Il lui fixe une nouvelle frontière : offrir à toutes les parties prenantes une vision sincère de la structure financière des entreprises. La « cogestion » de l'information financière par ces grandes sociétés et les Big Four a sans doute sa part de responsabilité dans la crise en focalisant le rôle de l'auditeur sur les intérêts d'un petit nombre de ces parties prenantes. À l'heure où, en France, on s'interroge sur la pertinence d'une profession réglementée comme celle des experts-comptables et éventuellement des commissaires aux comptes, cette vision proposée par M. Barnier est de nature à redonner à l'ensemble des professionnels du chiffre une légitimité à laquelle ils aspirent.La clarification du rôle des auditeurs, la réaffirmation de leur indépendance, l'appel à réfléchir sur la concentration excessive du marché sont autant d'axes qui ont une résonance particulière en France. Notre pays a été victime d'une concentration excessive qui s'est traduite par l'uniformisation, l'appauvrissement et l'assoupissement de la réflexion comptable. L'idée, avancée par le commissaire, d'une obligation de désigner, parmi les deux commissaires aux comptes, au moins un « non-Big Four », aurait un effet radical sur le marché français. Elle serait aussi susceptible de faire souffler un vent nouveau dont les évolutions depuis le début des années 2000 l'ont injustement privé, malgré la création de l'Autorité des normes comptables (ANC) qui constitue un réel progrès.Dans la même veine, la réflexion sur la différenciation des obligations entre petits et grands cabinets, mais surtout entre niveaux d'investigations en fonction de la taille de l'entreprise, pourrait permettre d'avancer de manière plus efficace, au sein en particulier des travaux de l'ANC. M. Barnier évoque les « limites de l'autorégulation ». Sur ce point-là, peuvent ceux qui ont contribué à la réflexion sur la régulation par les pairs, faire leur mea culpa. Peut-être ont-ils manqué d'audace lorsqu'il s'est agi de définir des standards de qualité et surtout de les mettre en pratique.C'est ce retour à l'audace qui doit devenir le mot d'ordre aujourd'hui, sur les traces de M. Barnier. Cette audace doit se traduire par une vraie réflexion sur la refondation des missions des auditeurs ; cette réflexion doit être celle de la profession, mais elle doit aussi pouvoir compter sur les pouvoirs publics et les normalisateurs. L'autorégulation a vécu. Sans doute doit-on aller vers une « régu-réglementation », qui associe autorités publiques et compétences professionnelles, autour d'un vrai projet de filière économique. Si le discours de Michel Barnier visait un auditoire européen, il a d'abord pour nous une portée française. C'est dans ce cadre-là aussi que son appel à une « année de l'audace » prend tout son sens.
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