Grand emprunt : pourra-t-on garantir la rentabilité des investissements  ?

Éric LABAYEOUIIl existe des principes qui, de la conception à la mise en ?uvre, le permettent.Tout investissement, quel qu'il soit, doit être engagé dans le but d'atteindre une certaine rentabilité, et l'État pourrait d'ailleurs raisonner ainsi pour tous ses investissements, quel que soit leur mode de financement, et pas seulement à l'occasion du grand emprunt. Par « rentabilit頻, j'entends ici deux types de bénéfices possibles pour la nation : la création de richesse directe ou indirecte générée dans le pays, moteur de développement économique, et le bénéfice sociétal créé par l'investissement, par exemple une amélioration des compétences, de la qualité de vie des citoyens ou de l'environnement. Pour maximiser l'impact sur ces deux axes, il faut appliquer les bons principes de gestion de tout investissement dans la durée. Lors de la conception des projets, l'État doit s'assurer de clairement définir, en face des moyens financiers, les objectifs et effets attendus, ainsi que les différentes étapes à passer pour y parvenir. Ensuite, une constance et un suivi rigoureux du schéma d'investissement seront décisifs : il faut vérifier chaque année que le projet se déroule bien selon les hypothèses et les étapes identifiées dans la phase de conception, et n'effectuer que les ajustements qui s'imposent, pour assurer l'impact tout en intégrant les nouvelles externalités, par exemple des ruptures technologiques. Dès la conception, l'État doit également identifier et activer les autres leviers dont il dispose (réglementation, partenariats publics-privés, commande publique) qui lui permettront de maximiser la réussite des projets. Le téléphone mobile ne se serait pas aussi bien développé en Europe sans l'adoption de la norme GSM. L'État doit également s'assurer que chaque projet atteint la taille critique nécessaire à son succès, et l'échelle nationale n'est pas toujours optimale. Ainsi, dans l'aéronautique, les semi-conducteurs ou encore les batteries haute performance pour la voiture électrique, c'est l'échelle européenne qui pourrait se révéler la plus pertinente. Enfin, et c'est la base de tout management de projet, il faut mettre en place les bonnes compétences, dès le départ, pour garantir la bonne exécution de chacun des projets et le suivi opérationnel de la performance au jour le jour. C'est donc l'articulation minutieuse entre ces trois étapes ? conception, suivi dans la durée, et gestion opérationnelle quotidienne ? qui permet à tout investissement de produire le maximum, et il n'y a aucune raison que l'État ne puisse pas, lui aussi, réussir dans cette approche. nCette semaine, la commission sur « les dépenses d'avenir », chargée de calibrer le grand emprunt annoncé par Nicolas Sarkozy le 22 juin au congrès de Versailles, a présenté ses conclusions au président français. Si elle recommande de limiter les ressources à 35 milliards d'euros, dont 22 milliards émis sur les marchés, elle préconise de faire abonder les fonds publics par de l'argent privé, ce qui permettra d'investir jusqu'à 60 milliards, dans un certain nombre de domaines, tels que l'université et la recherche, le numérique, la voiture du futur, les énergies vertes et la science du vivant. Craignant que cette initiative ne débouche sur le financement d'éléphants blancs, les parlementaires ont exigé que le grand emprunt soit rentable, et les sénateurs ont voulu que cette rentabilité puisse être calculée. Propos recueillis par Valérie SegondNONJean ArthuisSi on avait pu garantir la rentabilité de ces investissements d'avenir, pourquoi ne pas les avoir laissés intégralement au secteur privé ? Si on était bien certain qu'ils dégageront un taux de profit, on aurait toujours pu trouver des investisseurs pour les financer, les liquidités ne manquant pas que je sache ! La vérité c'est que personne ne peut assurer que l'on dégagera une certaine rentabilité : d'abord pour le premier poste, l'université, auquel il est prévu de consacrer 16 milliards d'euros, qui peut définir en termes financiers clairs ce que ces investissements rapporteront ? Cela ne veut pas nécessairement dire qu'il ne faut pas le faire, car on sait bien qu'il faut doter nos universités désargentées de vrais moyens si l'on veut relever le potentiel de croissance de la France, mais on ne peut raconter aux contribuables que la France en retirera une rentabilité certaine. Je ne puis que regretter que ces dépenses ne soient pas comprises dans le budget 2010. Quant aux autres investissements, dans les sciences du vivant, les énergies décarbonées ou les villes durables, comme pour tout investissement d'ampleur, on ne peut là aussi assurer un niveau de rentabilité. Comme toujours, on sera obligé de faire des hypothèses, par nature fragiles. Et qui le seront d'autant plus que l'on est encore en terrain inconnu : les modèles économiques sont loin d'être établis ! Enfin, si tout investissement repose sur un pari, ceci est encore plus vrai avec les investissements réalisés sous la tutelle de l'État. Certes, les méthodes théoriques d'évaluation des projets existent bel et bien, et l'on sait que s'ils sont bien conçus, ils peuvent avoir de réels effets induits sur la croissance. Mais pour obtenir ces résultats, il faut créer une structure ad hoc pour chaque investissement, structure soumise à une stricte gouvernance, laquelle imposerait des exigences claires sur les modes de sélection des investissements et leur réalisation. À supposer que les thèmes d'investissement choisis soient raisonnables, leur rentabilité finale, pour l'investisseur comme pour l'économie dans son ensemble, dépendra d'une série de conditions qui ne sont pas encore réunies : le choix de bons opérateurs pour chacun d'entre eux, de territoires qui présentent une densité de peuplement et d'activité économique minimale, et, de façon plus générale, d'une stricte analyse des véritables besoins de la France. nPersonne ne peut assurer une rentabilité, d'autant moins s'ils sont sous la tutelle de l'État.
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