Au large de la Louisiane, les pétroliers piaffent

Par latribune.fr  |   |  1117  mots
Et si cela était arrivé ici », aux abords du Washington Monument, de Liberty Island ou dans la baie de San Francisco ? « Seriez-vous encore en train de crier ?Fore, chéri, fore? (*) ? » Dans le métro de Washington DC, Oceana vient d'entamer une campagne publicitaire choc : un pélican mazouté sous les célèbres cerisiers de la capitale fédérale, une nappe de pétrole s'approchant de la statue de la Liberté ou encore une plate-forme pétrolière en flammes près du Golden Gate... « Arrêtez les forages », lance cette association écologiste, à l'occasion du premier anniversaire de l'explosion de la plate-forme Deepwater Horizon, exploitée par BP, qui avait fait 11 morts et provoqué une gigantesque marée noire dans le golfe du Mexique. C'est ici, à Washington, siège du Congrès, que se joue en effet le deuxième acte de la catastrophe : la réglementation sur les forages en eaux profondes. Un an après, la question n'a toujours pas trouvé de réponse, laissant libre champ à un affrontement entre les lobbies pétroliers et environnementaux. Après une pause de dix mois, l'administration américaine autorise de nouveau des recherches d'hydrocarbures dans le golfe du Mexique. Depuis fin février, une petite dizaine de permis ont été accordés par les autorités qui ont durci les règles de sécurité. Mais l'industrie pétrolière juge ce rythme insuffisant. « Davantage de permis doivent être délivrés », estime Erik Milito, directeur de l'American Petroleum Institute, une association regroupant près de 500 compagnies pétrolières et gazières. « L'économie de notre pays et sa sécurité énergétique dépendent de notre faculté à développer ces ressources », poursuit-il, assurant que près d'un million d'emplois pourraient être créés. Selon l'Agence américaine de l'information sur l'énergie (EIA), la production de pétrole brut dans le golfe a chuté de 13 % l'an passé, à 1,55 million de barils par jour. Et elle pourrait encore reculer de 375.000 barils par jour en 2011, l'équivalent du tiers de la production journalière de la Libye, affirme le cabinet de consultant Wood Mackenzie. Un argument de poids quand les cours du brut flambent.Le mois dernier, Barack Obama a plaidé pour une réduction de la dépendance énergétique des États-Unis, avec l'ambition de réduire d'un tiers les importations d'or noir durant la prochaine décennie. Les puits du Texas, de Californie ou du Dakota du Nord tournent à plein régime - la production a atteint en 2010 son plus haut niveau depuis six ans - mais cela ne suffira pas, car la première économie mondiale reste très gourmande en pétrole. Pour atteindre cet objectif, les pétroliers américains devront accroître leur production en mer, dans le golfe du Mexique ou en Alaska. Mais il n'est plus question d'élargir les zones de forage, comme le proposait Obama un mois avant la catastrophe : fin décembre, le gouvernement a gelé cette extension jusqu'en 2017. « L'administration explique qu'elle soutient le développement de la production pétrolière aux États-Unis, mais, dans la réalité, elle fait tout pour la décourager », fulmine Erik Milito.Entre les premières fuites sur la plate-forme et le colmatage définitif des brèches trois mois plus tard, « près de 5 millions de barils de pétrole brut se sont déversés dans les eaux du golfe, menaçant la vie des tortues de mer, des requins-baleines, des thons rouges et de bien d'autres espèces », rappelle Oceana. Le nettoyage a impliqué jusqu'à 48.000 personnes simultanément sur les 1.700 km de plages et de marécages pollués. Et près de 10.000 bateaux ont déversé dans l'Atlantique plus de 7 millions de litres de dispersants. Un an après, environ 2.000 personnes restent mobilisées. Il faudra encore deux ans avant que tout rentre dans l'ordre, estime Kenneth Feinberg, l'administrateur du fonds d'indemnisation des victimes. Au-delà de l'impact sur l'écosystème, la marée noire a eu de graves effets sur l'économie locale. Notamment sur la pêche, qui, selon les chiffres de l'État de Louisiane, a fortement chuté en 2010 : ? 37 % pour les crevettes, ? 39 % pour les crabes, ? 30 % pour les poissons d'eau de mer et ? 50 % pour les huîtres. Elle devrait rebondir cette année. Sauf pour les huîtres, dont la majorité a été dévastée. « Cela va prendre du temps avant qu'elles reviennent, peut-être trois à cinq ans », confirme Sal Sunseri, coprésident de P&J Oyster Company, producteur d'huîtres en Louisiane, le plus ancien du pays. Après la marée noire, il a dû licencier 11 de ses 90 salariés. « Aujourd'hui, la qualité de nos huîtres est bonne mais elle n'atteint pas encore nos standards antérieurs, poursuit-il. Nous avons perdu une partie de la réputation que nous avions mis des générations à bâtir auprès des restaurants. » Mais aussi des consommateurs. Une récente étude de l'agence de développement économique Greater New Orleans souligne la très mauvaise image des fruits de mer pêchés dans le golfe du Mexique.Pour autant, l'argent promis par BP n'est pas là. « Nous avons reçu une indemnisation minuscule, mais rien comparé à ce que nous aurions dû toucher », explique Sal Sunseri. Sur les 20 milliards de dollars provisionnés par le pétrolier britannique, seuls 3,9 milliards ont été versés à 170.000 demandeurs. Mais la plupart n'ont reçu qu'une infime partie du montant réclamé. Beaucoup ont accepté des paiements d'urgence - 5.000 dollars pour les particuliers, 25.000 pour les entreprises - pour gérer leurs besoins immédiats, mais ont dû renoncer à une indemnisation future et à toute poursuite contre BP. En outre, la moitié des demandes initiales ont été rejetées, faute de documentation suffisante pour justifier le préjudice subi.« Kenneth Feinberg est un incompétent », s'emporte Ryan Lambert, propriétaire de Cajun Fishing Adventures Lodge, une société spécialisée dans les excursions de pêche en Louisiane. Deux semaines après l'accident, toutes ses réservations avaient été annulées et son chiffre d'affaires annuel a plongé de 94 %. « Le pire, c'est que je dois rester ouvert pour pouvoir prétendre à une indemnisation, ce qui creuse encore plus mes pertes », qu'il estime à 1,1 million de dollars. Il n'a pour l'instant reçu qu'un chèque de 200.000 dollars. Comme des dizaines de milliers de victimes, il s'est donc résolu à porter l'affaire en justice. Une nécessité selon lui : « Maintenant que les médias nationaux sont partis, BP n'en a plus rien à faire de nous ! » Jérôme Marin (*) « Drill, Baby, Drill », un des slogans repris par Sarah Palin lors de l'élection présidentielle de 2008.