La difficile équation de Martine Aubry

La fermeté de Nicolas Sarkozy dans le conflit des retraites facilite un peu la vie de Martine Aubry. À Paris comme à Lille, la première secrétaire du Parti socialiste est de toutes les manifestations. Inlassablement, elle appelle le gouvernement à « remettre sur la table » son projet « injuste », dont les mesures d'âge - recul de 60 à 62 ans du départ en retraite et recul de 65 à 67 ans du départ sans décote - cristallisent la colère.À un an et demi de l'élection présidentielle, Martine Aubry joue gros. Il y va de la crédibilité du PS et de sa capacité à incarner une alternative à la politique de Nicolas Sarkozy et à rassembler derrière son candidat l'ensemble de la gauche.Dans un peu moins de douze mois auront lieu les primaires socialistes pour 2012. La question du choix du candidat PS sera sans doute posée à tout l'électorat de gauche. Les stratégies variées sur la question des retraites - du réformisme assumé de François Hollande au pas de deux de Martine Aubry, en passant par la radicalité de Ségolène Royal- se lisent bien sûr à l'aune des ambitions présidentielles des uns et des autres. Mais le malaise est bien plus profond qui creuse l'écart entre gauche de gouvernement et gauche « de la rue ».Sur le plateau de l'émission « À vous de juger », le jeudi 14 octobre, Martine Aubry a été longuement interrogée sur le contre-projet de réforme des socialistes. Qui prévoit notamment une taxation accrue des revenus du capital... et un allongement de la durée de cotisation. C'est là que le bât blesse. Sur son blog, Pascal Cherki, un proche du porte-parole et leader de l'aile gauche du PS, Benoît Hamon, a ainsi fait part de son « doute ».« Qu'aurions-nous dit si, en plein mouvement contre le projet de réforme de Devaquet en 1986, François Mitterrand avait manifesté son accord avec une partie de ce projet de loi ? Qu'aurions-nous dit si, en plein mouvement contre le CPE, François Hollande avait manifesté son accord avec une partie de ce projet de loi ? C'est pourquoi je ne trouve aucune explication rationnelle à cette déclaration de Martine Aubry », écrit ce membre du bureau national du PS.Du côté de l'extrême gauche, on fulmine même de voir que, « pour le Parti socialiste, chasser la réforme Sarkozy par la porte, c'est la faire revenir par la fenêtre ». « S'ils reviennent aux 60 ans avec un allongement de la durée de cotisation, c'est comme s'ils ne faisaient rien », se désole le président du Parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon.Comme pour mettre du sel sur les plaies, le centriste François Bayrou s'est félicité de voir Martine Aubry rejoindre la cohorte des « gens raisonnables » qui peuvent prétendre mener l'alternance en 2012.Du côté des « réalistes » du PS, certains, comme François Hollande, reconnaissent la dangerosité du « piège » désormais ouvertement tendu par la droite. Nicolas Sarkozy et sa majorité ont en effet beau jeu d'expliquer que le retour de la retraite à 60 ans serait en trompe-l'oeil puisque les socialistes ont même prévu, après l'allongement de la durée de cotisation à 41,5 années en 2020, un nouveau rendez-vous en 2025 pour envisager une nouvelle augmentation « limitée à la moitié des gains de l'espérance de vie ».Fin septembre, un sondage indiquait d'ailleurs que les Français étaient 63 % à ne pas croire à la promesse socialiste d'un retour aux 60 ans.Le message, déjà quelque peu flou, a été davantage brouillé par les phrases distillées dans un rapport du FMI sur le nécessaire report de l'âge légal de départ à la retraite. Le directeur général de l'institution, Dominique Strauss-Kahn, encore et toujours présidentiable socialiste préféré des Français, avait déjà affirmé au mois de mai que les 60 ans n'étaient pas pour lui « un dogme ».Quant à la défiance de « la gauche de la gauche » vis-à-vis du PS, elle a été ravivée en début de semaine par la publication du rapport de Jacques Attali, ancien sherpa de François Mitterrand, qui préconise des mesures d'austérité drastiques pour réduire la dette et les déficits publics.« Le message, c'est que les socialistes ne disent pas ?on rase gratis?. Il y a des efforts à faire, Martine Aubry l'a dit clairement », tente de faire valoir Michel Sapin, ancien ministre de l'Économie et proche de François Hollande.D'autres responsables du PS reconnaissent que le retour à 60 ans concernera avant tout « ceux qui ont commencé à travailler tôt », mais ils mettent en avant les mesures de financement préconisées par les socialistes dans leur « autre réforme des retraites », et notamment la taxation des stock-options et des bonus qui devrait permettre de prélever 25 milliards d'euros sur le capital à l'horizon 2025. Le PS prévoit aussi une augmentation modérée des cotisations patronales et salariales de 0,1 % par an entre 2012 et 2021.« Si demain les conditions économiques sont réunies pour qu'on le fasse, évidemment qu'on préférera faire travailler les salariés 40 ans, plutôt que 41,5 ou 42 ans », a tempéré cette semaine Benoît Hamon. S'attirant une réplique immédiate de la strauss-kahnienne Marisol Touraine, chargée des retraites au PS. « Il est bon d'être crédible lorsqu'on approche de l'élection présidentielle, de ne pas être uniquement dans la posture de contestation », a-t-elle dit, avant d'insister : « Il y a un projet du parti, il nous engage tous pour l'élection présidentielle. »Pour alléger la pression exercée alternativement par son aile gauche et les « sociaux-réformistes », Martine Aubry promet aujourd'hui une sorte de clause de revoyure aux syndicats en cas de victoire en 2012. Invitée jeudi matin sur Radio Classique, la maire de Lille a affirmé que le PS était « unanime » sur la question des retraites. « L'allongement de la durée de cotisation, c'est un point qui a été acté », a-t-elle souligné en assurant que la contre-réforme des socialistes serait « le socle » de toute future négociation. Le balancier socialiste n'a pas fini sa course.Hélène Fontanaud
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