Faut-il craindre la guerre des monnaies ?

Par « guerre des monnaies » on fait référence à une situation où certains pays « manipuleraient » le taux de change de leur monnaie pour obtenir ce qu'on appelle un « avantage compétitif ». Il y a pourtant une raison fondamentale de contester l'existence de manipulations de taux de change. En effet, les rapports entre la plupart des monnaies sont régis par des changes flexibles, déterminés par l'offre et la demande sur le marché. Tel est le cas, par exemple, du dollar par rapport à l'euro. Il ne peut alors pas y avoir de manipulation des taux de change et donc, a fortiori, de guerre des monnaies. Certes, il est toujours possible pour une banque centrale d'essayer d'influencer le taux de change de sa monnaie par rapport à une autre en vendant ou en achetant sa propre monnaie. Mais une telle politique rencontre rapidement ses limites et cette hypothèse ne correspond pas à la réalité d'aujourd'hui.Ceux qui évoquent la guerre des monnaies ont aussi, bien souvent, une autre idée en tête : ils pensent que la politique de création monétaire très expansionniste de la Fed a pour conséquence une dépréciation du dollar, en particulier par rapport à l'euro. S'il n'est pas faux qu'une telle conséquence ait lieu, il n'en reste pas moins qu'il n'y a pas directement manipulation du taux de change et que, par ailleurs, la création monétaire a normalement pour conséquence simultanée de déprécier la monnaie, mais aussi d'augmenter les prix intérieurs, annulant ainsi le prétendu avantage compétitif. C'est parce qu'elle exerce une pression excessive à la baisse des taux d'intérêt que la politique monétaire expansionniste doit être critiquée et non à cause de ses effets sur le taux de change et du prétendu avantage compétitif qui en résulterait. Et cette manipulation des taux d'intérêt est, pour sa part, à l'origine des crises financières, comme on l'a vu dans les années récentes.Mais ce sont les rapports entre la monnaie chinoise et les autres monnaies qui constituent la préoccupation dominante. Il est généralement admis que le yuan est sous-évalué, ce qui se traduit par un excédent commercial chinois jugé excessif. En fait, le régime de change de la Chine est complexe et changeant et il reste donc ouvert à des interprétations multiples. Il est clair que ce n'est pas un régime de changes flottants pur : les autorités monétaires déterminent quotidiennement un taux de change central de leur monnaie, soit par rapport au dollar, soit maintenant par rapport à un panier de monnaies dont la composition exacte est maintenue secrète. Et de légères fluctuations du taux de change autour de ce taux central sont possibles sur le marché. Mais il semble qu'en général, les autorités chinoises ont adopté chaque jour une parité qui correspondait à ce que le marché avait déterminé la veille à l'intérieur de cette étroite bande de flottement. On peut donc penser que, petit à petit, la parité déterminée par les autorités s'ajuste en fait à ce que le marché des changes indique quotidiennement. Et, d'ailleurs, le yuan s'est progressivement apprécié au cours des années récentes.On peut alors légitimement proposer une interprétation de la situation des changes très différente de celle qui est généralement proposée. Au lieu de dire que la sous-évaluation du yuan crée des déséquilibres commerciaux qu'il conviendrait de corriger, il serait plus correct d'inverser le raisonnement. S'il est vrai que le taux de change est fondamentalement déterminé par le marché, il constitue un taux de change d'équilibre et il n'y a pas de raison de demander aux autorités monétaires chinoises de réévaluer le yuan. L'excédent commercial chinois ne serait pas fondamentalement provoqué par un taux de change de déséquilibre, mais par un autre phénomène simple à comprendre : le taux d'épargne chinois est considérable depuis des décennies (autour de 40 %), alors que le taux d'épargne est faible aux États-Unis et dans d'autres pays. La Chine exporte donc de l'épargne, c'est-à-dire qu'elle fait des placements à l'étranger, qu'elle achète des avoirs étrangers et, en contrepartie, elle vend des marchandises. La balance commerciale ne s'explique donc pas par le taux de change, mais par les écarts de taux d'épargne. L'excédent commercial chinois est donc un excédent d'équilibre et le déficit américain un déficit d'équilibre. Ils sont la conséquence de mouvements internationaux d'épargne, pour la plus grande satisfaction de tous : ainsi, grâce au déficit commercial, les États-Unis obtiennent plus de marchandises et ils les paient en vendant des actifs financiers (dont une partie est constituée par des bons du Trésor à faible rémunération qui sont accumulés par les autorités monétaires, utilisant ainsi une partie de l'épargne nationale). Il n'y a donc pas plus de raison de parler de déséquilibre des balances commerciales qu'il n'y en a de parler de guerre des monnaies et il n'y a aucune raison pour qu'on s'occupe de ces questions dans une enceinte comme celle du G20. Et on doit en outre être sceptique à l'égard de la capacité du FMI à évaluer si « les déficits ou les excédents sont excessifs », comme cela a été demandé lors du dernier G20.Par Pascal Salin, professeur émérite à l'université Paris-Dauphine
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