Les deux visages du miracle allemand : 1. Voyage au pays du plein-emploi

Par latribune.fr  |   |  994  mots
Au nord-est du Bade-Wurtemberg, l'arrondissement de Hohenlohe apparaît d'abord pour le voyageur de passage comme un paysage de carte postale. Le long des vallées de la Kocher et de la Jagst, les villages coquets avec leurs maisons à colombage se succèdent au pied de collines chargées de vignes. Mais cette paisible campagne ne trompe pas longtemps l'observateur : le bal incessant des poids lourds, la présence d'entrepôts et d'usines à l'entrée de chaque bourg achèvent de le convaincre qu'il se trouve au coeur du miracle économique allemand, au pays des PME innovantes, de l'industrie exportatrice et du plein-emploi.Dans le Hohenlohe, le nombre de demandeurs d'emploi a reculé d'un tiers en 2010. Un record pour l'Allemagne entière. En décembre, le taux de chômage était de 3 %. Et ce chiffre n'est pas une exception dans la région. Un peu plus au sud, la ville médiévale de Schwäbisch Hall affiche un taux de 3,6 %, contre 4,9 % un an plus tôt et 7,9 % pour le pays entier. Le chômage de longue durée ne dépasse pas 1,8 %. Du coup, le grand bâtiment de verre de l'agence locale de l'emploi semble un peu démesuré. Et si, par coquetterie sans doute, le directeur Guido Rebstock refuse de parler de « plein-emploi », il s'avoue « surpris par l'ampleur » de la décrue. Et affirme que, sauf dégradation brutale de la situation économique, le taux de chômage pourrait cette année passer sous les 3 % et y rester.Cette baisse du chômage tient d'abord à un scénario conjoncturel en « V ». « Les commandes industrielles à l'export sont reparties aussi vigoureusement à la mi-2009 qu'elles avaient disparu fin 2008 », résume Heinrich Metzger, le président de la chambre de commerce et d'industrie (IHK) de Heilbronn-Franconie dont dépend la région. Car cette contrée d'apparence rurale dispose en réalité d'une puissance industrielle impressionnante. Dans l'ensemble des zones couvertes par l'IHK, l'emploi industriel pèse pour plus de 40 %, contre 33 % pour la moyenne du Bade-Wurtemberg et 25 % pour l'Allemagne entière. Il n'y a pourtant pas vraiment ici de géants industriels, mais une pléiade d'entreprises moyennes spécialisées et inventives. Le Hohenlohe est le coeur battant de ce Mittelstand tant envié du reste de l'Europe. « Après la guerre, beaucoup de gens sont venus de Berlin dans cette région encore agricole, ils ont créé des entreprises et trouvé une population travailleuse et inventive », résume Margot Klinger, responsable de l'agence de développement économique du Hohenlohe. Ces sociétés familiales ont tellement grandi que cette petite région de 110.000 habitants compte une dizaine de leaders mondiaux. Au débouché d'une forêt obscure surgit l'un d'entre eux : l'usine du fabricant de ventilateurs et de moteurs Ebm-Papst, avec 3.500 salariés, soit plus que le nombre d'habitants de Mulfingen, le bourg voisin. Fondée en 1963, l'entreprise a dépassé le milliard d'euros de chiffre d'affaires en 2007. Elle compte désormais 10.000 collaborateurs et des usines en Chine, en Inde, en Hongrie ou aux États-Unis. Mais jamais Hans-Joachim Beilke, son directeur général, ne peut envisager d'abandonner l'Allemagne et le Hohenlohe. Au contraire, il y parle encore d'embauches.« Pour nous, la qualité de la main-d'oeuvre locale est un facteur déterminant. La productivité et l'inventivité des travailleurs d'Europe de l'Ouest demeurent indispensables », affirme-t-il. Or, comme le souligne Heinrich Metzger, « l'industrie locale vit de l'innovation ; nous devons toujours avoir une avance sur la concurrence. Sinon, notre compétitivité disparaîtrait ». Pour Hans-Joachim Beilke, cette inventivité tient en grande partie au maintien de « l'esprit ancien d'entreprise qui s'appuie sur peu de règles et sur la confiance envers les collaborateurs ». Paradoxalement, l'enracinement local de ces entreprises, leur attachement à une certaine tradition, semblent étroitement liés avec leur capacité d'innovation. On est du reste frappé de constater le nombre de centres de recherche implantés dans le Hohenlohe. Les entreprises locales investissent fortement dans la formation des jeunes, notamment via l'alternance. Elles « sont pleinement conscientes de leur responsabilité dans ce domaine », résume Heinrich Metzger. Résultat : le chômage des jeunes dans la région n'est que de 2,6 %.Mais une menace guette : la démographie. La région vieillit très vite et la population active se réduit comme peau de chagrin. Chacun ici en convient, c'est le principal défi des prochaines années. Selon l'IHK, il manque des ingénieurs depuis 2007, mais en 2014 le nombre de postes non pourvus pour l'économie régionale pourrait atteindre 23.000. Une pénurie amplifiée par l'exode rural qui n'est pas freiné par la réussite économique de la région. « Les jeunes qui partent étudier dans les villes universitaires reviennent rarement », se lamente Margot Klinger. Le dynamisme économique ne suffit donc pas à attirer de nouveaux habitants. La menace est à prendre au sérieux : sans main-d'oeuvre, l'économie locale est condamnée à ralentir. D'autant que les postes d'ingénieurs sont ceux qui fournissent cette innovation dont les PME locales ont tant besoin. Selon Guido Rebstock, l'heure est déjà à la « concurrence entre les régions et les villes pour attirer de la main-d'oeuvre ». Margot Klinger insiste sur les atouts du Hohenlohe : un environnement rural avec de très bons équipements publics, de santé et de formation. Suffisant ? Pas sûr. Guido Rebstock salue les initiatives prises pour attirer les travailleurs étrangers, notamment de l'est de l'Union européenne, qui pourront travailler en Allemagne à partir de mai. Mais il reste sceptique sur leurs effets. « Nous ne pouvons plus nous permettre de perdre des actifs potentiels », conclut Heinrich Metzger. « Il faut favoriser la présence des femmes et des personnes âgées sur le marché du travail ainsi que la formation des populations d'origine immigrée et la formation continue », ajoute-t-il. Mais, il le reconnaît, « tout cela ne suffira pas et l'on doit s'attendre à des années difficiles ». Paradoxe d'une Allemagne qui réussit, mais qui se vide.Romaric Godin Demain : Bremerhaven croit toujours en sa chance.