Relocalisations : ce que des universitaires ont conseillé à Arnaud Montebourg

Par latribune.fr  |   |  1085  mots
\"Si nos fabriques imposent à force de soin la qualité supérieure de nos produits, les étrangers trouveront avantage à se fournir en France et leur argent affluera dans les caisses du Royaume\". Trois siècles plus tard, cette citation de Jean-Baptiste Colbert - contrôleur général des Finances sous Louis XIV-, n\'a jamais autant été au cœur de l\'actualité. Depuis lundi en effet, est accessible en ligne le logiciel d\'aide à la relocalisation baptisé Colbert 2.0, lancé en grandes pompes - et avec un petit retard - par Arnaud Montebourg. Conçu et réalisé par le cabinet Sémaphores à la demande de la DGCIS, il doit permettre aux entreprises de jauger les potentialités de relocalisations qui pourraient les concerner.>> Le \"logiciel Colbert 2.0\" anti-délocalisation disponible lundiPour concevoir cet outil, Bercy s\'est inspiré d\'une étude détaillée réalisée par un professeur d\'économie de l\'université Paris Dauphine, El Mouhoub Mouhoud, et son équipe.Dans le volet territorial de cette étude relative aux \"relocalisations d\'activités industrielles en France\", les universitaires ont dressé un certains nombre de recommandations. El Mouhoub Mouhoud a accepté d\'expliquer à La Tribune comment, lui et son équipe ont étudié les 320 zones d\'emplois que compte la France en fonction de 700 types d\'activités et quelles ont été les constats et surtout les recommandations qu\'ils en ont tiré pour les adresser à la DGCIS. Le ministère du Redressement productif doit se saisir des travaux du professeur d\'économie au mois d\'août et devrait a priori s\'en inspirer pour prendre des décisions au sujet de la politique économique à mener pour soutenir les relocalisations. Bercy avait d\'ailleurs publié une synthèse s\'inspirant de l\'étude économétrique en question au mois de juin.Trois constats majeursA partir d\'exemples de relocalisations comme Arkema, Lancôme (L\'Oréal), Yamaha, Rossignol ou encore Meccano, trois leçons principales ont été dégagées : Il y a en France, des territoires équivalent aux Mittelstand allemands  qui innovent, exportent et importent avec succès. Les entrepreneurs qui relocalisent choisissent des zones intenses en services cognitifs (présence d\'unités de recherche, de compétences en design, en publicité, en marketing...) Grâce à une cartographie, on peut les localiser grosso modo le long de l\'axe Rhin-Rhône d\'une part, et le long d\'une bande allant de Nantes au Luxembourg d\'autre part. Les territoires qui exportent sont jouxtés par des territoires industriels et par des unités cognitives dynamiques : ce sont des zones où il y a complémentarité entre qualités industrielles et compétences en matière de services annexes (formation, marketing, design...) d\'où l\'importance de considérer les territoires en tant qu\'écosystèmes ! \"Ce qui fait la force (et la compétitivité), c\'est la combinaison géographique entre services et industries\" considère El Mouhoub MouhoudDes recommandations concrètesLes auteurs de l\'étude suggèrent de répartir les aides de l\'Etat sur ce qui fait localement la différence: l\'innovation, la recherche et le développement, les infrastructures de télécommunications et de transports, la logistique et les institutions coordinatrices. Le but étant alors de favoriser les relocalisations dites \"de développement compétitif\", et non de simplement faire revenir des activités délocalisées dans un but de tirer bénéfice de faibles coûts de production.Le professeur d\'économie El Mouhoub Mouhoud propose donc de : Investir davantage dans les services et améliorer les infrastructures locales : télécommunications, transports, logistique... Encourager le regroupement des PME pour qu\'elles deviennent plus fortes face aux grands distributeurs. Cela éviterait ainsi qu\'elles soient contraintes de délocaliser, faute de marges suffisantes si elles produisent en France étant donnée la cadence (délais et prix) imposée par les géants de la distribution Réorienter les politiques de soutien : attention aux \"chasseurs de primes\" ! Certaines entreprises empochent les aides à la relocalisation puis quittent le territoire aussitôt la période d\'exonération de charges fiscales ou sociales écoulée... Or \"les relocalisations pérennes sont liées à des motifs de compétitivités par l\'innovation et non par le prix \" soulignent El Mouhoub Mouhoud et son équipe Concentrer les efforts sur la formation et le développement d\'institutions de coordination. \"Le paradoxe est que les aides se concentrent sur les mobiles (entreprises) et laissent de côté les immobiles, c\'est-à-dire les hommes et les femmes qui vivent sur les territoires vulnérables à la mondialisation et à la délocalisation et qui présentent un degré faible de mobilité car dépendant de leurs réseaux sociaux locaux\", constatent les universitaires. Pour aider les locaux à être compétitifs, il faut faire des efforts sur la politique d\'éducation, de formation, d\'acquisition des langues étrangères. Des avantages susceptibles d\'attirer des entreprises qui tireront profit de la qualité de cette main d\'œuvre plutôt que de la logistique internationale (les faibles coûts de transports autrefois alléchants). D\'ailleurs, les personnes qui le souhaitent doivent être accompagnées dans leurs changements de territoires : \"La mobilité doit pouvoir devenir un droit et non une variable d\'ajustement imposée lors des restructurations\" font valoir les auteurs.\"Changer le cap\" de la politique économiqueEn un mot, les universitaires suggèrent donc de \"changer le cap\" en investissant au maximum dans l\'immatériel. Il s\'agirait alors d\'\"armer les territoires contre les délocalisations par une politique d\'anticipation des chocs et en concentrant les aides sur les travailleurs vulnérables et les infrastructures locales\". Dans ce cadre, pourquoi ne pas créer des \"agences indépendantes dédiées aux sciences sociales et humaines\", comme cela existe déjà pour les sciences expérimentales à travers les incubateurs par exemple? Et pourquoi ne pas créer des dispositifs de professionnalisation et mettre en place à l\'échelle de chaque territoire des politiques d\'immigration incitatives pour attirer de la main d\'œuvre qualifiée? Sur le dernier point, la méthode fait songer à celle imaginée par l\'agence de développement des territoires d\'Auvergne, qui pratique le marketing territorial en publiant des offres d\'emplois locales avec loyer offert !>> France en crise : l\'Auvergne paye votre loyer pour venir y travaille