La révolution culturelle de Huawei

Un fabricant low-cost qui n'hésite pas à copier le matériel de ses concurrents et à massacrer les prix. Dans le milieu des télécoms, tout le monde a entendu ces critiques contre le chinois Huawei. Pour beaucoup, avec ses méthodes agressives, pour gagner coûte que coûte des parts de marché auprès des opérateurs, le groupe est même à l'origine des difficultés de ses concurrents, Alcatel-Lucent, Nokia-Siemens - voire de la faillite du canadien Nortel -, incapables de suivre la compétition en raison des prix imposés par l'équipementier chinois.Ces attaques, les dirigeants de Huawei les ont évidemment entendues. « Le prix ? Oui, c'est une donnée importante », remarque en souriant Kevin Zhang, le directeur du marketing de Huawei. « Mais ce n'est pas suffisant. Si nous n'avons pas la bonne technologie, il est impossible de gagner un contrat auprès d'un opérateur », complète ce jeune dirigeant, qui a commencé sa vie professionnelle chez Huawei il y a douze ans. Mais la direction du groupe, notamment les cadres installés à l'étranger, sait que ces critiques lui colle à la peau. D'où les efforts d'un groupe, par nature relativement secret, pour s'ouvrir un peu plus et montrer qu'il n'est pas ce que l'on dit de lui.« Avant, nous vendions des équipements électroniques. Aujourd'hui, alors que ces produits ont tendance à se banaliser, nous voulons prouver que nous savons faire des solutions complètes et innovantes », lance Kevin Zhang, après la visite du hall d'exposition ultramoderne que Huawei vient d'inaugurer au coeur de son siège de Shenzhen, une ville de 8 millions d'habitants à une heure de route de Hong Kong. D'ailleurs, sur le campus de Huawei, tout est fait pour affirmer la puissance et la modernité du groupe. Inauguré en 2005, après cinq ans de travaux, le siège, de plus de 1 km2, n'a rien à envier à ceux des géants américains de la technologie : un data center dont la salle de pilotage rappelle celle de Cap Canaveral, un bâtiment de stockage des composants entièrement automatisé par l'allemand Siemens, un immeuble pour les formations internes et externes dessiné par l'architecte Norman Foster... Et même un lac artificiel autour duquel de chaleureux petits pavillons avec salon, salle à manger et cheminée - alors qu'à Shenzhen la température tombe rarement sous les 10 °C - servent aux réunions les plus discrètes. Pas étonnant que les dirigeants des opérateurs du monde entier ou les représentants des États apprécient la visite à Shenzhen, une mégalopole pourtant dénuée de charme architectural. Mais ce cadre enchanteur ne suffit pas à expliquer l'ascension fulgurante d'un groupe fondé en 1988 par Ren Zhengfei, un ancien colonel de l'Armée du peuple, aujourd'hui considéré comme l'un des hommes d'affaires les plus puissants de Chine. La recette tient plutôt en un mot : Qehu (« client », en chinois). Disciplinés, tous les dirigeants de Huawei rencontrés le répètent à longueur de phrases. « C'est l'un des premiers mots chinois que j'ai appris », sourit Christophe Coutelle, ancien ingénieur de France Télécome;lécom, unique français sur le campus de Huawei, qui compte 40.000 employés. Ici, le client est roi et il peut tout demander ! Au point d'obliger, parfois, les clients de Huawei à réaliser de sérieux efforts pour tenter de séparer le possible de l'impossible. « Les Chinois ne disent jamais non. Nous devons donc constamment reposer plusieurs fois et sous différentes formes la question pour s'assurer du sens réel de la réponse », confie le dirigeant d'un opérateur de télécoms français, client de Huawei. Les installations sont là, mais les pratiques encore parfois trop éloignées de celles des donneurs d'ordres, notamment occidentaux. Porté jusqu'à présent par la croissance du marché local (30 millions de Chinois ont souscrit un abonnement mobile au 1er trimestre 2010, pour porter le nombre d'utilisateurs dans le pays à 750 millions), dopé par une stratégie ultra-agressive à l'étranger, et aidé par des charges de fonctionnement moins lourdes qu'en Occident, Huawei sait qu'il doit maintenant faire de nouveaux efforts s'il veut rendre durable sa position. Et lever les dernières réticences des clients, dans un marché de plus en plus concurrentiel. « Le management a compris que, pour réussir à l'international, la société doit être organisée comme une entreprise internationale », reconnaît Ross Gan, un Singapourien de 37 ans, chargé depuis deux ans de la communication de Huawei à l'étranger. Un poste qui n'existait pas il y a encore deux ans.Huawei s'est donc lancé dans sa révolution culturelle. IBM, Hay, PricewaterhouseCoopers, Accenture... Le groupe s'est offert les meilleurs consultants de la planète pour adopter une organisation proche de celle de ses concurrents. L'anglais est même devenu la langue officielle de la société. « Nous sommes la première entreprise du pays à être allée aussi loin. Compte tenu de la culture chinoise, c'est un chantier extrêmement difficile. Et nous avons rencontré des résistances logiques des salariés pour faire passer ces changements », reconnaît Kevin Zhang. Il est plus simple de construire un nouveau building que de changer des mentalités, malgré une moyenne d'âge de 29 ans des salariés.Mais, pour certains, notamment les concurrents qui y verraient un gage de réelle transparence, seule une cotation en Bourse permettrait de parachever cette mutation. La direction de Huawei ne voit aucun intérêt à ouvrir le capital. Elle n'a pas besoin d'argent frais. Alors que le fondateur ne détient que 1,5 % du capital, les 90.000 salariés de l'entreprise en sont les uniques actionnaires via un système de distribution d'actions en fonction des performances du groupe et de chacun, avec redistribution des bénéfices à la clé. Un système dont seuls les non-chinois sont exclus. En 2008, pour une action valorisée à 4 yuans (environ 0,40 euro), un dividende de 1 yuan a été versé, soit un rendement de 25 %. « Ce statut de coopérative est unique pour une entreprise chinoise de cette taille », assure Ross Gan, persuadé qu'il constitue le ciment de la réussite du groupe et qu'il n'est pas nécessaire d'y toucher. La révolution de Huawei n'ira pas jusqu'au renversement total.Olivier Pinaud, à Shenzhe
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