Des Brady bonds aux Juncker bonds

ChroniqueDepuis la fin des années 1970, le FMI n'intervenait plus en Europe occidentale. Son retour historique en Grèce marque un tournant dans l'histoire économique : les crises de la dette souveraine ne sont plus des tares réservées aux pays du Sud mais des maux dont peuvent aussi souffrir les pays dits développés. Alors que les gouvernants peinent à régler la crise de confiance qui colle à la dette des États européens, aucun n'a cherché à s'inspirer des expériences de sortie de crise des pays du Sud. À tort.Pour l'instant, la proposition la plus audacieuse a été formulée par Jean-Claude Juncker, qui appelle de ses voeux la création d'une agence européenne d'émission de la dette. Cette idée serait redoutablement efficace : elle mutualiserait les émissions de dette des États de la zone euro et mettrait ainsi fin aux bulles spéculatives générées par les écarts de taux entre bons du Trésor allemands, belges ou irlandais, qui exposent les États visés par les spéculateurs à des incapacités de se refinancer. Cette idée a aussi une faille : une agence européenne produira la dette souveraine dans le futur, mais que faire des stocks de dette déjà émis ? L'apparition d'« eurobonds » ne fera oublier à personne que la France s'assoit sur 1.574,6 milliards d'euros de dette ou que l'Italie est écrasée sous plus de 1.850 milliards d'euros. Combien d'années d'émission d'eurobonds faudrait-il pour avoisiner les stocks déjà émis par chaque état de la zone euro ? Alors que certaines obligations n'arriveront à maturité que dans dix ou trente ans, on verrait s'installer une coexistence sur les marchés d'eurobonds et d'obligations nationales. En définitive, une solution sur les émissions de dette future ne saurait être viable sans une solution aux stocks de dette passée. Les plans d'ajustement du FMI, qui coupent les dépenses à venir de la Grèce plutôt que de traiter la dette déjà en circulation, sont eux aussi passés à côté de cette idée.Or, les expériences du Sud peuvent nous être utiles à formuler cette alternative. En 1982, le Mexique est en faillite. Nicholas Brady, le secrétaire au Trésor des États-Unis, dont les banques sont les principaux détenteurs de dette mexicaine, décide de proposer un plan. Les créanciers du Mexique acceptent d'échanger leurs obligations souveraines, dépréciées par la crise de confiance, contre de nouvelles obligations, aussitôt surnommées « Brady bonds ». Le deal est simple : les créanciers acceptent que les nouvelles obligations aient une durée de paiement plus longue et des taux d'intérêt inférieurs à ceux du marché, en contrepartie d'un gage de confiance. Le Mexique s'engage en effet à acheter des bons du Trésor américains, porteurs de la sacro-sainte notation AAA, qui sont déposés en gage dans un compte à la Federal Reserve et qui, en cas de défaut, seraient versés comme compensation aux créanciers de l'État mexicain.L'allégement des taux d'intérêt soulagea les finances publiques mexicaines. Les banques créancières ne s'en plaignirent pas, au moment où l'échange des Brady bonds leur permettait d'effacer de leurs bilans des obligations non performantes. À travers ce renforcement de leurs institutions financières, les États-Unis furent satisfaits d'approfondir leurs liens économiques avec le Mexique, en établissant une corrélation entre les valeurs de leurs bons du Trésor et de la dette mexicaine.La crise de confiance doit pousser les pays de la zone euro à se souvenir du dispositif Brady et les conduire à échanger leurs stocks de dette contre de nouvelles obligations, à des taux plus soutenables et avec des durées de remboursement allongées. D'où viendrait le gage qui rendrait attractive une telle renégociation ? Contrairement à ce que l'on pourrait croire, les pays bénéficiant d'une notation AAA ne manquent pas en zone euro : la France ou l'Allemagne seraient à la Grèce ce que les États-Unis furent au Mexique. Hasard intéressant, ce sont les institutions financières de ces deux pays qui sont le plus exposées à un risque de défaut sur la dette grecque. En gageant la dette des États en difficulté par des obligations françaises ou allemandes, déposées à la Banque centrale européenne, ce n'est donc pas seulement l'intégration européenne qui en sortirait grandie mais aussi le secteur bancaire européen, avec des bilans plus transparents et une crédibilité rétablie par sa participation aux renégociations et à la sortie de crise.
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