La face cachée de la fête des mères

Par latribune.fr  |   |  773  mots
« C'est un piège à la con la fête des mères ! » lance un cadre à son collègue paniqué à la perspective d'oublier ce grand jour. Qu'il soit père, mari ou fils, ou les trois à la fois, le voilà au matin du jour J contraint de jongler entre ces trois identités. « C'est un très mauvais moment à passer pour lui car cette fête le soumet à célébrer la mère de ses enfants en même temps que sa propre mère. Alors qu'il souhaite voir en sa femme d'abord une épouse. Mais s'il ne joue pas le jeu, il a toutes les chances qu'on le lui reproche », explique Jean-Pierre Marcos, psychanalyste.Côté femmes, ce n'est pas tellement mieux. Cet événement génère chez elles beaucoup d'ambivalence. Nombreuses sont celles qui dénoncent ce moment mercantile et ridicule. Mais les mêmes, le jour venu, essuieront discrètement une larme pour peu que leur entourage l'ait snobé... comme elles l'ont pourtant recommandé ! « Hommes et femmes sont convoqués dans quelque chose de très archaïque, du lieu où on vient tous et qui nous inscrit dans une problématique de la dette, poursuit Jean-Pierre Marcos. Le caractère mercantile de l'affaire ne fait que raviver cette dette et le cadeau est là pour monnayer un dû à l'endroit de ce qui est impayable, c'est-à-dire une dette de vie. »Les enfants ne sont pas plus à la fête ce dimanche. « Figure imposée », « sorte d'aliénation », les psys n'ont pas de mots assez forts pour souligner la perte de sens de l'événement. « La société, et à travers elle l'école, demande à l'enfant de poser un acte d'amour qui méconnaît le mélange d'amour et de haine inconscients qui s'entrecroisent dans son psychisme à l'endroit de ses parents, estime Alexandra Geberovich, psychologue et psychanalyste. De plus, il ne choisit pas son moment. Résultat : la dimension de contrainte le désapproprie du sens de son acte. » Seul bémol peut-être : le collier de nouilles fabriqué des semaines en amont et objet de tant d'attentions et de secrets chuchotés qu'il permet à l'enfant de sentir son désir d'offrir. Car c'est bien ce qui est en jeu : ce désir d'offrir confisqué par le commerce et la publicité, transformé en injonction. « La fête des mères est vraiment une histoire d'adultes, instaurée par les adultes et destinée aux adultes », souligne Alexandra Geberovich. Et les psys de faire remarquer qu'il s'agit ce jour-là de rassurer sa maman en mal de narcissisme et de ne voir en elle que « bienfaisance ». Abondamment relayées par les médias, les images d'enfants épanouis, qui comblent leur mère de bonheur, peuvent susciter chez certains auto-dépréciation, voire culpabilité à ne pas se sentir conforme dans ces scènes qui idéalisent le lien enfant-parents.Alors comment sortir de l'impasse ? Déjà en permettant à l'enfant de se réapproprier son acte, en lui laissant la possibilité du choix, en lui en parlant, et surtout en évitant de lui faire acheter un cadeau. Préférons une création unique, un dessin, qu'il réalise de ses mains. Car l'argent n'a aucune valeur symbolique pour le petit enfant. Ensuite veiller à faire de l'événement plus un moment de partage et d'affection qu'une célébration de la reine mère. Car il n'a rien des rituels initiatiques porteurs d'une avancée, d'un gain de sens promotionnant pour l'enfant (comme les communions ou les Bar Mitsva). En faire aussi, à travers la mère et la grand-mère, un acte de don d'une génération à une autre marquant la transmission. Enfin, côté adultes, chercher à éclaircir ce qu'on souhaiterait signifier à sa mère pour sortir du conformisme et replacer la relation dans son caractère unique. Avec tout de même un sujet épineux en toile de fond : que faire ce jour-là de son agressivité ? « La fête des mères est aussi pour notre société une bonne façon d'éviter cette dimension pourtant constitutive de notre inconscient. Une agressivité insuffisamment prise en charge car elle fragilise le narcissisme, et réactualise par là une menace de perte d'amour », analyse Alexandra Geberovich.Reste alors à célébrer, à l'instar des Romains de l'Antiquité avec leurs Matronalia (fête des mères latines qui fêtait la naissance de Rome, le printemps, les enfants et les mères), les capacités maternantes des femmes comme le suggère Pascale Chapaux-Morelli, présidente de l'Association d'aide aux victimes de violences psychologiques. C'est-à-dire leur capacité à créer et donner.