L'ultimatum de la BCE à Chypre a institué une zone euro à deux vitesses

C\'est donc entendu. La « solution » trouvée lundi au cas chypriote ne servira pas de modèle aux futurs soubresauts de la crise européenne. La participation des dépôts bancaires restera limitée au « cas spécial » de l\'île méditerranéenne. L\'avalanche de commentaires et de démentis des propos de Jeroen Dijsselbloem, y compris ceux de ce dernier, devrait achever de convaincre tout le monde sur ce point. Même s\'il demeure quelques irréductibles comme Michel Barnier qui, ce jeudi dans le Handelsblatt, n\'hésite pas à remettre sur la table le principe de la « participation des clients au sauvetage de leurs propres banques. »Sur un autre point, cependant, le problème du « précédent chypriote » se pose avec acuité, celui de l\'attitude de la BCE. On se souvient que l\'institution de Francfort, en menaçant voici une semaine de couper l\'accès au programme d\'accès urgent à la liquidité connu sous son acronyme anglais ELA, a placé le gouvernement chypriote dans la situation d\'accepter un accord avant lundi dernier, au risque de se retrouver de facto en dehors de la zone euro. Ce véritable ultimatum de la BCE a été un élément clé de la crise chypriote. Sans lui, nul doute que Nicosie discuterait encore.Les Pays-Bas ménagésCet ultimatum n\'est pas un simple problème « technique. » S\'il en fallait des preuves, elles sont légion. La plus récente n\'a pas un mois et concerne la nationalisation de la banque néerlandaise SNS Reaal. Comme le souligne très justement le blog du Financial Times Alphaville en s\'appuyant sur des documents rendus publics par le gouvernement des Pays-Bas lui-même, la Haye a disposé d\'un temps confortable pour monter une solution au risque de faillite de SNS Reaal. De nombreuses pistes ont été explorées alors même que la banque était en situation de faillite de fait et ne vivait plus que du soutien de la BCE. Laquelle a laissé le gouvernement néerlandais réfléchir tranquillement. Et La Haye ne s\'est décidée à agir que lorsqu\'il y a eu un risque que la vraie situation de liquidité de SNS ne devienne publique. \"Ah, avoir autant de temps pour résoudre ses problèmes bancaires, c\'est chouette, pas vrai ?\", conclut le blog britannique.Décision arbitraireOn peut donc constater que l\'ultimatum de la BCE à Chypre n\'est pas un simple problème technique : les banques chypriotes ne sont pas solvables, on leur coupe donc le robinet de la liquidité. Dans le cas de SNS Reaal, comme jadis dans celui de la banque régionale allemande WestLB, pour laquelle les autorités d\'outre-Rhin ont mis des années à trouver une solution et qui ont cédé non pas sous la pression de la BCE, mais de la Commission, l\'institution de Francfort n\'a pas menacé de couper l\'oxygène. Enfin, il y a l\'attitude de la BCE qui n\'a guère bronché devant l\'ultimatum de l\'Irlande concernant son assainissement bancaire. Dans certains cas, la BCE sait donc se montrer patiente ou bienveillante. Autrement dit, il faut bien le reconnaître, l\'ultimatum de l\'institution de Francfort est une véritable décision arbitraire du conseil des gouverneurs qui a décidé d\'agir ainsi avec Nicosie précisément. Soit en effet l\'ELA dispose de règles claires, soit son application est laissée à l\'appréciation souveraine du conseil des gouverneurs. La semaine dernière a clairement montré que la deuxième alternative était la bonne. L\'ELA est un système flou qui donne à la BCE un pouvoir dont elle a usé envers Nicosie.Faire taire le parlement chypriotePourquoi ? On peut avancer deux hypothèses. La première, c\'est la réaction à la décision du parlement chypriote le 18 mars au soir de rejeter sans ambiguïté le plan « A » signé entre Chypre et les Européens. Pas un seul vote pour. Face à cette résistance de la démocratie chypriote, le conseil des gouverneurs de la BCE, fort attaché à son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique, a sorti l\'atout suprême de la coupure de l\'ELA de sa manche. Devant une telle menace, la démocratie chypriote ne pouvait plus que disparaître devant les nécessités de l\'intérêt national. Les négociateurs européens étaient en position de force, pouvant toujours brandir la menace d\'un pays privé de liquidité et contraint de revenir en catastrophe à sa monnaie nationale mardi matin. Mais ce coup de force, la BCE ne peut le faire qu\'avec un pays du sud, de préférence de petite taille. Impossible d\'agir avec une telle brutalité avec le Bundestag ou le parlement néerlandais. La BCE se tirerait alors une balle dans le pied en ruinant la crédibilité de l\'euro. Avec Chypre, le risque était plus mesuré.Faire un exemple contre « l\'aléa moral »La deuxième hypothèse, qui est complémentaire de la première, serait que le conseil des gouverneurs de la BCE a souhaité faire un exemple. Montrer aux pays en difficulté que leurs marges de manœuvre étaient désormais des plus réduites et que la BCE ne saurait, pour leur système bancaire, jouer le rôle de prêteur en dernier ressort. C\'était un message apaisant à envoyer aux fameux « contribuables » du nord de l\'Europe si soucieux de ne pas devoir payer « pour les erreurs des autres. » En montrant qu\'elle préférait exclure de fait un pays de la zone euro que d\'assurer la survie de banques en faillite, elle a ravi les économistes allemands qui, depuis le début de la crise, considère qu\'il faut une procédure d\'exclusion des pays désobéissants aux règles européennes. Souvenez-vous, même Angela Merkel, un temps, c\'était au début de 2011, avait brièvement réclamé une telle procédure avant de se rétracter.Avec l\'ultimatum chypriote, la BCE a fait du charme à l\'Allemagne et à la Bundesbank qui s\'est tant inquiété de sa politique accommodante et de sa propension à déverser des liquidités sur le marché au risque de semer les graines de l\'inflation future. Francfort a posé des limites. Elle a montré au monde germanique son indépendance politique et sa volonté de ne pas défendre l\'euro « à tout prix. » Elle a, enfin, envoyé aux pays du sud un message angoissant sur la défense inconditionnelle de la BCE de leur adhésion à l\'euro. Ce message vise à réduire le fameux « aléa moral. » Avec l\'ultimatum chypriote, la BCE prouve aux pays susceptibles de bénéficier de son programme OMT de rachat illimité d\'obligations souveraines qu\'ils ne doivent pas y voir une raison de réduire leurs « efforts » de consolidation budgétaire. Qu\'il n\'est pas question d\'affaiblir la rigueur sous prétexte que la BCE veille. La BCE veille, oui, mais précisément pour stopper tout abus. Et s\'il vient l\'idée à un parlement d\'adoucir l\'austérité budgétaire pour des raisons de croissance, alors la BCE pourra agir avec eux comme elle en a agi avec Chypre et mettre l\'euro dans la balance. Cette fois, le message était sans doute envoyé aux politiciens et aux électeurs italiens.Une division de la zone euro gravée dans le marbreEn agissant ainsi, la BCE n\'a pas seulement joué avec le feu en prouvant que l\'euro n\'est pas un processus irréversible comme chacun l\'affirmait jusqu\'ici en Europe. Elle a surtout gravé dans le marbre la division au sein de la zone euro entre deux catégories de membres. Ceux qui ont un parlement que l\'on doit écouter et dont on doit prendre en compte les décisions, et ceux qui ont un parlement que l\'on doit faire taire. Ceux qui ont le temps de régler leurs déséquilibres et leurs crises à leur façon et ceux qui se voient imposer des régimes de cheval. Ceux enfin qui peuvent décider et ceux qui doivent obéir.  
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