Le déjeuner de François Lenglet  : George Soros, le financier qui ne croit pas à la fin de la crise

Pour franchir les postes de l'hôtel Seehof, il faut montrer patte blanche. Ou plutôt badge blanc, celui qui est attribué aux participants par l'organisation du Forum économique mondial. Un sésame sans lequel le visiteur n'est qu'un non-être, auquel on interdit même l'accès au centre de la petite ville suisse de Davos. Comme tout le monde, je le porte autour du cou, bien en évidence, de façon à parer les dizaines de contrôles quotidiens effectués par les militaires suisses emmitouflés qui sont en faction dans les rues enneigées. George Soros est un habitué de Davos. Il vient chaque année avec son épouse, une étonnante poupée aux longs cheveux peroxydés, qui a l'air d'être sa fille ou sa petite fille, selon la distance à laquelle on l'observe. Chaque année, le financier presque octogénaire organise un déjeuner, où il convie quelques participants du forum, pour délivrer ses oracles sur la marche du monde. Du monde, et surtout de la finance. Il arrive alors que le saumon fumé du Seehof attende sur la table dressée, tout comme attendent ses convives. « Nous ne sommes pas sortis du bois »Un peu voûté par le temps, le visage flétri comme une vieille pomme et troué par deux yeux étincelants de vivacité et d'intelligence. La spéculation ne conserve pas le corps, mais à coup sûr l'esprit. « Nous ne sommes pas sortis du bois », avertit-il d'entrée. « La superbulle financière qui a explosé en 2008 a été en partie regonflée par les mesures de sauvetage de l'économie mondiale. Il y a un vrai risque de rechute en 2011. » Soros a inventé une théorie qui explique les aberrations que l'on constate sur les marchés. Selon lui, les acteurs s'alimentent mutuellement en illusions qui gagnent en force à mesure qu'elles se transmettent de l'un à l'autre. Illusions d'autant plus séduisantes qu'elles permettent d'encaisser des fortunes, lorsqu'on sait en jouer. Les esprits simples diraient que les financiers sont moutonniers, mais Soros, qui se pique de philosophie, a inventé un nouveau mot pour qualifier le phénomène : la « réflexivit頻. Le coup de maître de ce Hongrois d'origine, qui est arrivé aux États-Unis après la guerre, a été de faire « sauter » le système monétaire européen en 1992, en pariant sur la dévaluation de la livre sterling et de la lire italienne. Un bel exemple de « réflexivit頻, qui lui aurait rapporté un milliard de dollars au détriment des banques centrales, notamment celle d'Angleterre. À l'époque, il avait été filmé par la télévision française dans sa piscine de milliardaire, distribuant ses admonestations aux gouvernements européens. Depuis, les temps ont changé. Soros a vieilli, et il s'est repenti. Sa fondation investit désormais des centaines de millions de dollars dans une cinquantaine de pays, notamment en Europe de l'Est, dans la santé, la justice, l'éducation, le développement d'une presse indépendante. Des bonnes oeuvres auxquelles il consacre l'essentiel de son temps. La fondation s'appelle l'Institut de la société ouverte - en écho à l'esprit internationaliste de son père, qui parlait l'espéranto à la maison et a écrit plusieurs ouvrages dans cette langue ? « L'euro est une monnaie inachevée »Pour être repenti, George Soros n'a pas perdu son intérêt pour la chose financière. Il continue du reste à présider le fonds qui porte son nom, même s'il ne le gère plus. Alors, la crise grecque, qui fait rage sur les marchés obligataires, alors que nous attaquons le rôti tranché accompagné d'une étique pomme de terre ? « L'euro est une monnaie inachevée, on a créé une banque fédérale, mais pas de ministère des Finances », répond-il. Irait-il spéculer sur l'explosion de l'union, comme il l'a fait en 1992 ? « Pour les pays concernés, l'avantage de participer à l'union monétaire, et la protection que cela confère, sont tellement précieux qu'ils vont s'imposer une discipline de fer pour y rester. » Si la conjoncture ne lui inspire guère d'optimisme, c'est que l'on n'a pas traité en profondeur les causes de la crise. « À marchés financiers mondialisés, il faut des règles mondiales, sinon, c'est la catastrophe assurée. Je le disais bien avant la crise. Et nous n'y sommes toujours pas. » Et la réforme Obama, qui vise à encadrer les pratiques spéculatives des banques ? « Quand une voiture dérape, il faut accompagner sa trajectoire avec le volant, avant de reprendre le contrôle avec un mouvement vigoureux. Avec la finance, c'est pareil. Le coup de volant d'Obama est prématuré, car la voiture dérape toujours. Et si même c'était l'heure, il n'est pas suffisant. » Le dessert est servi ; Soros n'a pris qu'un verre d'eau - un véritable anachorète. Alors, que faire ? Contrôler la production du crédit, qui permettra de lutter contre les bulles spéculatives. « Si l'accès au crédit est facile, il n'y a rien de plus rationnel, pour un investisseur, que de mettre son argent dans une bulle. Dès que j'en vois une, j'achète. » Non, décidément, le philanthrope n'a pas tué le financier.
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