Les jeux en ligne entre libéralisation et régulation

Par latribune.fr  |   |  706  mots
Plus de 2 milliards d'euros à l'horizon 2015 : c'est l'estimation qui est faite de l'ampleur que pourrait prendre le marché des jeux en ligne en France. En effet, avec l'adoption du projet de libéralisation de ce secteur, la France abandonne le modèle monopolistique, ce qui devrait être un facteur de développement pour cette activité d'« entertainment ». Paris a fait le choix d'une « ouverture maîtrisée » : le gouvernement tente un savant équilibre entre la libéralisation et la régulation dans ce secteur jalousement surveillé par les États, pour des raisons tant fiscales que d'ordre public. D'autres pays ont déjà emprunté cette voie. L'Italie a ainsi modifié son système, qui datait de 1948. Désormais, et ce tout particulièrement depuis une réforme de 2006, tout opérateur peut mener son activité dans les jeux et paris, à condition de se conformer à une législation visant à concilier la concurrence et le respect de l'ordre public comme de la santé des citoyens. Toute entreprise doit ainsi recueillir une licence d'une agence indépendante du ministère de l'Économie, l'AAMS. Cette dernière dispose du pouvoir de poursuivre ou bloquer les sites illégaux en collaboration avec les fournisseurs d'accès à Internet. Résultat : en Italie, la progression du marché des jeux en ligne est exponentielle. Le montant annuel des mises en ligne a atteint 3,7 milliards d'euros en 2009, en hausse de 153,7 % par rapport à 2008.Les marchés français et italien sont proches en termes de culture et de propension au jeu et le texte de loi français s'inspire très largement du modèle transalpin. Il prévoit une ouverture à la concurrence surveillée par une nouvelle autorité administrative indépendante (l'Arjel). Sa mission sera d'octroyer des agréments aux futurs opérateurs. Cependant, seuls trois types de jeu seront autorisés : le poker en ligne, les paris sportifs et les paris hippiques (l'ouverture est plus large en Italie). Les opérateurs devront répondre à un très strict cahier des charges, très proche des règles italiennes. Ainsi, par exemple, les types de pari autorisés seront précisément réglementés (taux de retour pour les joueurs) ; les opérateurs seront soumis à une condition de territorialité, afin que certaines données soient accessibles par l'Arjel ; la publicité sera autorisée mais sous condition de ne pas s'adresser aux mineurs. De plus, l'Arjel pourra saisir le juge des référés pour bloquer les sites illégaux ainsi qu'engager des poursuites pénales.Pourtant, l'adoption de ce projet de loi ne clôt pas le débat sur la régulation de l'offre de jeux en ligne. Une conférence est organisée sur le sujet, le 9 avril prochain à Rome, entre les autorités italiennes et françaises (AAMS et Arjel). Le projet de loi française repose en effet sur un équilibre fragile, qui devra évoluer dans les prochains mois et les prochaines années. Ainsi, le développement de ce secteur pose, de toute évidence, un problème de santé publique. On sait les ravages que peut provoquer l'addiction aux jeux, tout particulièrement chez les plus jeunes. Actuellement, le projet français prévoit, pour les opérateurs, une obligation de consultation du fichier des interdits de jeu et l'envoi de messages d'avertissement. Mais est-ce suffisant ? Faut-il introduire des obligations pour stopper d'autorité certains joueurs à la consommation excessive ? Comment peut-on garantir l'efficacité de ces mesures sur Internet où le changement d'identité est aisé ?Autre question d'importance : l'Arjel pourra-t-elle faire face à la prolifération des sites illégaux ? Ils sont près de 15.000 aujourd'hui. On connaît les difficultés techniques pour repérer ces sites essentiellement situés à l'étranger et susceptibles de changer rapidement d'adresses. Cela suppose l'adoption de mécanismes techniques sophistiqués, lourds et coûteux dont certains doutent qu'ils puissent être mis en oeuvre.L'exemple français, après celui de l'Italie, sera regardé de près. Car même si l'ouverture à la concurrence peut être bénéfique à l'investissement et l'emploi, nombre de pays s'interrogent sur le modèle à adopter. Le débat ne fait donc que commencer. n Point de vue Martina Barcaroli Avocate aux barreaux de Paris et Rome, Vovan & Associé