Très étonnants voyageurs

Pour ceux qui partent au loin comme pour ceux qui restent sur place, voici de quoi s'évader, dans l'espace comme dans le temps. Une exploration riche en aventures, surtout humaines. Et aussi un regard intéressé sur l'esprit occidental de la deuxième moitié du XIXème siècle. De la Corrèze au Zambèze.

Toumaï, Lucy, Darius, Alexandre le Grand, Charlemagne, Christophe Colomb, Cook, La Pérouse, Monod, Cousteau et beaucoup d'autres ont de tout temps voulu "voir ce qu'il y avait de l'autre coté de la montagne ou de l'océan". Ces minoritaires aventuriers sont souvent méprisés par une majorité frileuse qui se contente de rester sur place: en 1860, le voyageur est considéré comme "un être digne de la plus profonde pitié car séparé de tout ce qui fait le charme de la vie, la famille, le toit paternel, le pays des aïeux". Gilbert Grellet, journaliste correspondant dans divers pays, fils de diplomate représentant la France de ci de là, grand voyageur et écrivain des contrées lointaines a rédigé la "saga des derniers grands explorateurs" (sous-tire de son gros livre) en s'inspirant des articles de la revue "Le tour du monde", hebdomadaire de référence paru de 1860 à 1914, dont il est un des rares à posséder la collection complète. C'est dans les pages de cet ancêtre du National Geographic qu'il puise, en quatorze chapitres documentés, un peu la grande Histoire et beaucoup les petites anecdotes qui ont fait de ce demi-siècle celui de la conquête coloniale à outrance.

Car les expéditions, multiples et rivales, de Schweinfurth, Cameron, Brazza, Binger, Caillé, Zuber, Wilkes, Slocum, De Gerlache, Shakelton, Charcot, Admunsen, etc... un peu partout dans un monde jusque-là inconnu sont avant tout destinées à asseoir une puissance occidentale en plein développement industriel, les intérêts économiques et politiques étant toujours plus marqués que les avancées géographiques ou scientifiques, pourtant prétextes à ces découvertes. Et s'il est vrai que l'on se passionne des récits des nombreuses expéditions parties curieusement de Zanzibar à la recherche des sources des Nil (bleu et blanc), en suivant Stanley à la poursuite de Livingstone, mais aussi les tentatives de Lejean, Burton, Speke, Baker ou Grant, on lit également à travers un prisme contemporain, en filigrane, les empreintes d'une époque expansionniste sans retenue: racisme, esclavagisme, colonialisme, pillage de matières premières et culturelles, etc...

Et même si la lutte des pôles, remarquablement décrite ici, dégage un fumet de nationalisme, c'est avant tout l'exploit humain d'intrépides pionniers que l'on retient, même si ceux-ci devaient leur survie dans des conditions extrêmes, leurs frêles embarcations étant prises dans les glaces subites, à quelques manchots bouillis dans la neige fondue (et non comme le mentionne l'auteur, des pingouins, inconnus dans le très grand Sud). A noter un chapitre particulier consacré à la France profonde où Berry, Bretagne, Corrèze ou Lozère font l'objet d'étonnements et d'incompréhensions de la part de doctes voyageurs parisiens.

Ce livre, dense et instructif, est à la fois un cours de géographie, une leçon d'histoire, un récit de voyages et un regard émouvant sur "l'Autre". Une découverte parmi les découvertes.

Dans la même veine, à lire également deux ouvrages récents : "Le dictionnaire des voyageurs-explorateurs occidentaux" de François Angelier, éditions Pygmalion, 766 pages, 29 euros, et "Trésors des livres de mer" d'Alain Dugrand et Michèle Polak, éditions Hoebeke, 277 pages, 59 euros.

"Aux frontières du monde" par Gilbert Grellet, Editions Jean Picollec, 591 pages, 24,80 euros.

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