L'Europe bancaire à l'heure des choix

Par Nicolas Véron, économiste au sein du centre de réflexion européen Bruegel, associé de la société de conseil Ecif.

Ce qui devait arriver est arrivé?: l'interdépendance entre les deux rives de l'Atlantique est telle que la tempête a fini par atteindre nos rivages. Les responsables publics européens ont pu observer que le marché réagit mal à des changements brutaux de doctrine, comme lorsque le gouvernement américain a laissé Lehman faire faillite puis a volé au secours d'AIG le lendemain, et à la paralysie de la décision publique, comme lors des déboires à répétition du plan Paulson. Ils savent que leur crédibilité n'est pas illimitée, et que leurs choix de priorités seront cruciaux. Ils doivent placer leur ambition à un niveau assez élevé pour protéger l'essentiel, mais assez bas aussi pour être réalisable.
 

Deux éléments sont indispensables à la gestion publique des crises bancaires?: une bonne information et, le cas échéant, des fonds publics. Dans l'hybride de fédéralisme et d'intergouvernementalisme qu'est l'Union européenne, avec un cadre juridique et des institutions communes mais pas de capacité budgétaire supranationale, il est possible de collecter et d'utiliser au niveau européen l'information, mais pas l'argent.
 

Malgré la violence de la crise, nous sommes encore loin du point hypothétique où elle ne laisserait pas d'autre choix aux Etats que de créer des outils budgétaires partagés. Sans contribuable supranational, un plan européen d'intervention financière à la Paulson n'a guère de chances de voir le jour. Seuls les Etats peuvent apporter de l'argent frais, séparément ou de manière coordonnée comme la semaine dernière pour Fortis et Dexia. Ils doivent ajuster finement leurs choix d'ingénierie financière dans l'intérêt des contribuables, en s'inspirant éventuellement de la palette de solutions expérimentées récemment aux Etats-Unis, comme pour le rachat de Wachovia par ou l'investissement magistral de Warren Buffett dans Goldman Sachs.


En revanche, l'information sur les groupes financiers paneuropéens peut et doit être centralisée. Sa fragmentation entre différentes autorités nationales ne permet pas un contrôle efficace. La coordination dans le cadre du « processus Lamfalussy » ou l'idée de « collèges » plus ou moins soumis à un "lead supervisor" sont des compromis laborieux pour ménager des institutions nationales souvent vénérables, mais ils partagent une même faiblesse?: la supervision par comité manque d'autorité face à des acteurs financiers qui savent très bien jouer les pays les uns contre les autres et arbitrer la diversité des régulations. L'expérience montre que pour bien prévenir et le cas échéant gérer une crise impliquant une institution financière complexe, il faut qu'une autorité de contrôle dispose d'une vision complète et actualisée de ses risques, faute de quoi les contribuables des pays en cause auront à souffrir plus que nécessaire.
 

L'Europe bancaire a connu une intégration transfrontalière rapide au cours des dernières années?: plus de la moitié des quinze plus grandes banques de l'UE (par la capitalisation mesurée fin juin) ont réalisé en 2007 la majorité de leurs revenus hors de leur marché domestique, soit un doublement en dix ans, et l'essentiel de cette expansion a eu lieu à l'intérieur de l'Europe. Avec la crise, leur probabilité de défaut a cessé d'être négligeable. Dans ce contexte, le besoin d'une autorité européenne de supervision bancaire devient criant. Sans cela, l'UE risque rien moins qu'un renversement de sa dynamique d'intégration financière, avec des conséquences désastreuses pour l'accès au capital des entreprises et des ménages européens. 


La création d'une autorité commune est désormais dans l'intérêt même de pays qui s'y sont longtemps opposés. Pour le Royaume-Uni, elle garantirait la poursuite d'un processus d'intégration financière dont la place de Londres continuera d'être un grand bénéficiaire. Pour l'Allemagne, elle apporterait la perspective bienvenue de nouveaux entrants dans un système financier actuellement très fermé et de plus en plus dysfonctionnel. Pour la France et l'Italie, elle résoudrait les tensions entre l'utilisation passée de la supervision bancaire à des fins de politique industrielle nationale, et l'expansion internationale de plus en plus poussée de leurs grandes banques.

Quant aux pays d'Europe centrale et orientale, ils auraient tout à perdre d'une remise en cause du processus d'intégration financière qui a permis de financer une bonne part de leur croissance. Il est urgent de donner une visibilité au marché sur cet enjeu et de passer du stade des débats théologiques à celui de l'étude de faisabilité, faute de quoi une refragmentation du secteur bancaire européen pourrait bien devenir rapidement un scénario de consensus.


Certains choix essentiels peuvent être vite tranchés. Selon le principe de subsidiarité, une future autorité de supervision européenne devra avoir un mandat limité aux grands groupes financiers paneuropéens, au plus quelques dizaines parmi les milliers de banques en Europe, qui devront adopter un statut juridique harmonisé. Compte tenu de la position centrale du marché londonien, son champ géographique devra couvrir toute l'UE et pas seulement la zone euro?; elle devra être distincte de la BCE pour préserver l'indépendance de celle-ci, tout en établissant avec elle une étroite relation de travail.

Elle devra rendre des comptes à la fois au parlement européen et aux parlements nationaux. Son organisation devra s'appuyer sur les compétences des autorités nationales et permettre une nécessaire proximité avec les entités supervisées.  Sa mission devra être limitée à la surveillance prudentielle. Son financement devra être suffisant et créer les bonnes incitations. Sa localisation devra être à Francfort près de la BCE, ou à Bruxelles près du parlement européen, ou à Londres près du marché, cette dernière option étant sans doute le compromis le plus réaliste.
 

Le marché a besoin d'être convaincu de la capacité de l'UE à faire face au défi de la crise, et la supervision est l'aspect essentiel sur lequel des progrès sont à la fois possibles et indispensables. La création d'un superviseur bancaire européen ne sera certes pas une panacée, et sa mise en ?uvre prendra du temps?; mais c'est maintenant que les Européens doivent en prendre la décision de principe.

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