L'impôt sur les sociétés productif

Par Jean-Marc Moulin, maître de conférences de droit privé, Université de Caen-Basse Normandie  |   |  747  mots
Par Jean-Marc Moulin, maître de conférences de droit privé, Université de Caen-Basse Normandie.

Les débats sur la fiscalité sont récurrents. Dans un contexte de globalisation et de concurrence entre les Etats pour attirer à eux l'implantation d'entreprises étrangères ou éviter les délocalisations d'entreprises nationales les propositions sont légions qui tendent à réduire la pression fiscale sur les sociétés. Au nom de la compétition ou de l'équité les pouvoirs publics sont régulièrement sollicités par des organisations professionnelles pour, selon une terminologie éprouvée, «desserrer l'étau de l'impôt qui écrase les entreprises et décourage les entrepreneurs». Au renfort de cette plaidoirie sont souvent avancés des arguments de peu de poids.

Ainsi, du taux de l'impôt sur les sociétés qui serait moins élevé chez nos concurrents-partenaires européens ; mais, en matière de fiscalité, que signifie la comparaison de taux lorsqu'on ne se penche pas très sérieusement sur la composition de l'assiette à laquelle ils doivent s'appliquer ? En ce domaine, comparaison n'est pas raison. Ainsi, encore, de l'argument selon lequel l'impôt sur les sociétés ne serait pas progressif ; c'est oublier que dans les sociétés détenues à 75% par des personnes physiques, dont le capital est entièrement libéré et qui réalisent un chiffre d'affaires hors taxes inférieur à 7.630.000 euros, le taux de l'IS est de 15% sur les 38.120 premiers euros de bénéfices. Ainsi, enfin, de l'efficacité de l'impôt ; c'est cependant faire peu de cas des enquêtes qualitatives réalisées auprès des investisseurs étrangers qui choisissent la France pour s'établir (notre pays occupe le troisième rang mondial en terme d'investissements directs à l'étranger, IDE) et qui citent en tête des critères qui justifient leur choix l'éducation, la recherche, la santé, les infrastructures de transports, tous domaines largement financés par l'Etat et, partant, l'impôt !

Pour autant, toute réflexion autour de la contribution des sociétés au budget de l'Etat n'est pas interdite. S'agissant du seul impôt sur les sociétés, deux pistes pourraient être explorées. La première, qui ne serait en fait qu'une restauration, consisterait à moduler le taux de l'impôt sur les sociétés en tenant compte du sort des bénéfices réalisés par l'entreprise : de faibles taux pourraient être appliqués aux bénéfices qui font l'objet de réinvestissements par l'entreprise tandis que les bénéfices qui ne serviraient qu'à rémunérer le capital pourraient continuer de supporter un taux plus élevé ; de la sorte, la société bénéficie d'un argument de poids, même auprès de ses actionnaires, pour réinvestir ses bénéfices (R&D, investissements productifs et de production) plutôt que de les distribuer sous quelque forme que ce soit à ses actionnaires (dividendes, rachat d'actions,...).

La seconde, originale, consisterait à importer dans le régime de l'impôt sur les sociétés une mesure connue de très longue date en matière d'impôt sur le revenu. Ce dernier, on le sait, frappe moins lourdement, à revenu égal, les familles nombreuses que les familles monocellulaires en raison de l'institution du quotient familial. Afin de favoriser l'emploi (ou à tout le moins de ne pas le décourager), comme l'Etat sait favoriser la natalité (ou ne pas en faire un handicap), pourquoi ne pas instaurer un «quotient salarial» qui permettrait aux entreprises qui comptent un grand nombre de salariés de payer, tous bénéfices égaux par ailleurs, moins d'impôts que celles qui emploient peu de personnels. Cette dernière mesure permettrait de maintenir sur le territoire national des activités à forte intensité salariale voire à relocaliser des activités qui l'ont jadis quitté.

L'impôt n'est pas l'ennemi des entreprises mais l'outil majeur entre les mains des Etats pour assurer à la fois le financement des investissements délaissés, parce que jugés moins rentables par la sphère privée et néanmoins indispensables au développement de la société et, assurer un minimum de cohésion sociale au moyen de la redistribution dans la perspective d'une justice distributive. Les deux réformes précédemment exposées permettraient de satisfaire ces deux objectifs (financement des investissements gages de la compétitivité future et emplois salariés évitant l'activation de mécanismes de protection sociale) en faisant l'économie de la ponction étatique qui seule, véritablement, est mal vécue.