A la recherche des coupables qui ont tué Wall Street

Par Dani Rodrik, professeur à la John F.Kennedy School of Government (université de Harvard), lauréat du prix Albert O.Hirschman.Dernier ouvrage: «One Economics, Many Recipes: Globalisation, Institutions, and Economic Growth» (Une économie, plusieurs recettes: globalisation, institutions et croiss  |   |  812  mots
Par Dani Rodrik, professeur à la John F.Kennedy School of Government (université de Harvard), lauréat du prix Albert O.Hirschman.

Ces jours-ci, se montrer sceptique sur le monde de la finance est aisé. Pourtant, il y a encore peu, la logique des innovations financières séduisait. En premier lieu, personne n'a objecté à ce que le marché du crédit serve la cause des propriétaires potentiels. Nous avons permis à des organismes, pas des banques, de proposer des prêts hypothécaires abordables aux acheteurs éventuels. Ces prêts ont ensuite été regroupés sous forme de titres adossés à des actifs qui puissent être vendus à des investisseurs, réduisant ainsi le risque. Puis la chaîne des créances sur ces prêts a été divisée en tranches de risques divers, en compensant les détenteurs de la variété la plus risquée avec des taux d'intérêt plus élevés.

Nous avons demandé alors aux agences de notation de certifier que les titres adossés aux prêts hypothécaires les moins risqués soient suffisamment sûrs pour que les fonds de pension et les compagnies d'assurances y investissent. Pour les investisseurs nerveux, nous avons créé des dérivés permettant de souscrire une assurance contre un défaut de paiement des émetteurs. Difficile de trouver mieux pour faire l'apologie des avantages de ces innovations ! Grâce à elles, des millions de familles en marge ont accédé à la propriété, les investisseurs ont encaissé les intérêts de leurs créances et les intermédiaires, leurs commissions et honoraires. Un rêve devenu réalité, auquel financiers et politiciens ont cru.

Mais ce rêve s'est déchiré. La crise qui a frappé les marchés ces derniers mois a enterré Wall Street et humilié les Etats-Unis. Comparé au renflouage, à hauteur de 700 milliards de dollars, des institutions financières en difficulté orchestré par le Trésor américain, les crises passées des économies émergentes sont des anecdotes. Pourquoi une telle crise ? Les suspects ne manquent pas : les prêteurs sans scrupules de prêts hypothécaires, instigateurs de conditions de crédit qui ont entraîné les emprunteurs dans l'endettement ? Peut-être, mais les prêteurs pensaient que les prix de l'immobilier continueraient à grimper ; la bulle de l'immobilier qui s'est formée à la fin des années 1990, et la réticence manifestée par la Fed à agir pour la dégonfler. Pourtant, le volume de créances titrisées (CDO) et de titres similaires était suffisant pour maintenir le crédit hypothécaire.

Cela vaut aussi pour les contrats d'échange de risque de défaut (CDS), devenus un outil de spéculation au lieu d'une assurance, dont le volume des transactions a atteint le montant de 62.000 milliards de dollars. La crise n'aurait jamais pris ces proportions si des institutions financières ne s'étaient endettées jusqu'au cou dans la course aux dividendes. Et les agences de notation ? Si elles avaient travaillé correctement et émis des avertissements sur les risques, ces marchés n'auraient pas attiré autant d'investisseurs.

Ou les coupables sont-ils de l'autre côté du globe? La forte épargne des ménages asiatiques et les énormes réserves de change en dollars des banques centrales étrangères ont produit un engorgement de l'épargne, poussant les taux d'intérêt au plus bas tout en alimentant la bulle immobilière américaine et incitant les financiers à se lancer dans des aventures risquées avec de l'argent emprunté. Les décideurs macroéconomiques auraient dû agir pour corriger les déséquilibres des comptes courants. Mais le véritable coupable est peut-être le secrétaire au Trésor, Henry Paulson, qui, en refusant de renflouer la banque Lehman Brothers, a provoqué une contraction des marchés du crédit, avec un assèchement du financement à court terme et un dysfonctionnement du système financier.

Il aurait mieux valu faire avec Lehman ce que Paulson avait déjà fait avec Bear Stearns et vient de faire avec AIG : les renflouer avec l'argent des contribuables. Wall Street aurait survécu et la facture aurait été moins lourde pour les contribuables. Chercher une cause unique à cette débâcle semble futile. Il est plus réconfortant de penser - si vous croyez à une rationalité de la finance - que cette crise était « une tempête exemplaire » qui nécessitait un alignement exceptionnel des étoiles. A quoi conclura l'autopsie de Wall Street ? Suicide ? Meurtre ? Mort accidentelle ? Cas insolite de dysfonctionnement simultané des organes ? Nous ne saurons sans doute jamais. Les précautions que prendront les décideurs pour éviter à l'avenir une telle crise seront donc vagues et d'une efficacité douteuse. Pour cette raison, il y aura une autre crise financière majeure dans les prochaines années, une fois que celle-ci aura disparu dans les limbes. Vous pouvez y parier les économies de votre vie. C'est d'ailleurs ce que vous allez faire !

Copyright : Project Syndicate, 2008.