Barack Obama fera de Bush l'Herbert Hoover de notre temps

Par Bruce Ackerman et Gérard Magliocca, professeurs de droit à Yale et à l'Indiana University, Indianapolis.

Aux Etats-Unis, chaque trente ans émerge un mouvement populaire contestant les bases des pouvoirs précédents et élit un président de rupture. Barack Obama devrait s'employer à répudier la foi aveugle dans le libre marché de George W. Bush. Mais les Américains jugeront avant tout le nouvel élu, qui dispose de tous les leviers, sur sa capacité à mettre fin aux abus des présidences précédentes.
L'écrasante victoire de Barack Obama réaffirme un modèle qui remonte à l'aube de la république. Environ tous les trente ans, un nouveau mouvement populaire conteste l'identification partisane établie et précipite une réorganisation de l'électorat. Cette grande tradition américaine des « élections de changement » a commencé en 1800 lorsque Jefferson fit parvenir son nouveau Parti démocrate républicain à la victoire. Une génération après, Andrew Jackson organisa un nouveau parti politique ? les Démocrates - qui révolutionna à nouveau le gouvernement américain. Le nouveau Parti républicain d'Abraham Lincoln fit de même en triomphant de l'esclavage en 1860. Tout au long du XXe siècle, Franklin D. Roosevelt, Lyndon Johnson et Ronald Reagan poursuivirent cette tradition de révision fondamentale de la philosophie du gouvernement. Vingt-huit ans après la victoire de Reagan en 1980, Obama est arrivé pile à l'heure.
Le cycle est régénéré par l'évolution des perspectives de chaque nouvelle génération sur les questions fondamentales ? le rôle de gouvernement dans l'économie, la place de l'égalité dans la vie sociale, l'équilibre entre sécurité et liberté. Les électeurs prennent position en réponse à une crise et s'y tiennent jusqu'à ce qu'une crise ultérieure se produise. La révolution Reagan répondait au malaise des années 1970. L'inflation, l'activisme juridictionnel et les rigidités oppressives du communisme ont jeté des doutes sur la capacité de bureaucrates et des juges à rendre la vie meilleure. Le discours inaugural de Reagan cristallisa ce sentiment lorsqu'il souligna que « dans la crise actuelle, le gouvernement n'est pas la solution à nos problèmes?; le gouvernement est le problème ».
La génération qui vient à maturité avec le président Obama s'est formée à partir d'expériences différentes. Le 11-septembre a convaincu les Américains du besoin renouvelé d'un gouvernement central puissant, comme l'a rappelé l'ouragan Katrina et le rappelle aujourd'hui la crise financière, qui vient de transformer George W. Bush en un ironique prophète du socialisme. La présidence d'Obama permet néanmoins aussi aux Américains de dépasser cette ironie et de commencer à élaborer une nouvelle philosophie publique.
Si l'histoire est un guide en quelque façon, la nouvelle ère sera structurée par des actes de répudiation présidentielle. Chacun des grands présidents de changement a réussi à contester les aspects fondamentaux du statu quo. Mais, parmi ceux-ci, c'est Roosevelt qui fournit le précédent le plus pertinent. Président, Obama fera certainement de George W. Bush l'Herbert Hoover de notre époque. Il répudiera la foi aveugle de Bush dans le libre marché du capitalisme. Il engagera un vaste débat sur la forme du nouveau New Deal du XXIe siècle. Comme pour Roosevelt, les Américains donneront à Obama et à son Congrès libéral assez d'espace pour procéder à des expérimentations créatives. Ils ne prévoient aucun miracle dans la possibilité de pouvoir réguler à nouveau l'économie ou de fournir une assurance-maladie presque universelle. Les démocrates doivent seulement éviter une forme d'incompétence qui rappelle les gaffes de Bush face à Katrina ou à la crise financière.
Viendra néanmoins un moment où le président Obama ne pourra pas compter sur les modèles du New Deal. Alors que Roosevelt célébrait les vertus d'une autorité exécutive élargie, Obama devra faire face aux abus du pouvoir présidentiel ? la marque de fabrique des années Bush.
Il a dit déjà qu'il fermerait Guantanamo et annulerait toutes les directives du ministère de la Justice qui ont endossé des illégalités flagrantes. Ces gestes ne garantiront pourtant pas que de tels abus ne se reproduiront pas si une future attaque terroriste devait se reproduire. Nous ne savons pas quand la prochaine bombe explosera. Mais, à moins que quelque chose ne soit fait maintenant, les futurs présidents se trouveront devoir revigorer les précédents de l'ère Bush en lançant une autre attaque contre les droits fondamentaux.
Pour réellement répudier ce legs de Bush, Obama devrait élaborer une stratégie fondée sur la réponse du Congrès à la dernière grande période d'abus présidentiels sous Richard Nixon. Durant les années 1970, le Congrès a voté une série de lois-cadres qui ont restreint les pouvoirs unilatéraux du président de faire la guerre, d'espionner au nom de la sécurité nationale et d'engager des actions extraordinaires dans l'urgence. Mais, comme Bush l'a révélé, ces lois ne permettent pas d'imposer des « checks and balances » efficaces face à une présidence impériale.
Cet échec a trouvé son origine, pour une large part, dans l'opposition déterminée des administrations Nixon et Ford à toute restriction réglementaire sérieuse. Cela a ralenti l'élan réformateur, affaiblissant des dispositions clés dans leurs cadres réglementaires.
Mais, cette fois, les questions fondamentales soulevées par la présidence impériale ne seront pas obscurcies par une lutte partisane entre les trois pouvoirs. Il reviendra à Obama et au Congrès démocrate de décider s'ils veulent sérieusement répudier les abus des années Bush. S'ils se satisfont de gestes symboliques et de solutions à court terme, les Américains auront perdu une réelle opportunité de prendre des mesures contre les pathologies présidentielles profondément enracinées qui constituent la menace à long terme la plus grave pour la santé de la république.
 

Ce texte paraît aussi dans "The American prospect". Il est publié en collaboration avec le "think tank" En temps réel (www.entempsreel.com)
 

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Commentaires 3
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Ça va être difficile pour Barack Obama de dépasser le Grand Ronald Reagan !

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Magnifique! This analysis is spot on. Pr Magliocca est un géni.

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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