Barack Obama président : l'avenir d'une illusion

Par Yves Roucaute, philosophe, professeur des Universités, auteur de "Vers la paix des civilisations" (Alban) et "La Puissance de la liberté" (PUF)  |   |  965  mots
Qui peut se réjouir en Europe de l'élection de Barack Obama à la tête de la première puissance économique et militaire du monde ? Effet délétère de l'idéologie "politiquement correcte", nous avons assisté, durant des mois, à un curieux concert où couleur de peau ("noir"), âge ("jeune") et qualité du show ("sympathique") tenaient lieu d'analyse, souligne Yves Roucaute, philosophe, professeur des Universités.

Barack Obama a joué un excellent concert digne de "l'Apprenti sorcier", de Paul Dukas, où la formule magique pour remplir les marmites des classes moyennes à l'aide du balai féerique étatique a été "yes, we can". Le Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, n'a pas tort d'appeler les Européens à se méfier de la nouvelle tentation protectionniste américaine. Déjà, le contrat du siècle obtenu par Airbus contre Boeing auprès du Pentagone (179 avions ravitailleurs pour 35 milliards de dollars) a été repoussé en raison des pressions démocrates, malgré l'avis favorable de l'équipe de G. W. Bush, et Barack Obama a annoncé son annulation. Déjà, le candidat a prévu des aides à l'automobile dont José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, a noté le caractère agressif, sinon illégal, envers nos industries.

Le projet du jeune Barack Obama est celui de la vieille Amérique. Soutenu par John Sweeney, le patron du puissant syndicat AFL-CIO, Barack Obama n'a pas prononcé sans raison son programme économique protectionniste et étatiste devant General Motors. Objectif : 176 programmes de soutien pour préserver les métiers de la métallurgie, des activités extractives et, globalement, cet univers né de la révolution industrielle. D'un côté des interventions massives de l'Etat, 140 milliards de dollars par an (425 milliards disent ses opposants) et une banque d'investissement (60 milliards sur dix ans) qui permettraient de lancer des grands travaux, de créer des emplois dans les nouvelles énergies, de lancer une politique de crédits d'impôts pour les salariés (1.000 dollars par an) et les emprunteurs de l'immobilier (10% de crédits sur les intérêts des prêts), avec des suppressions fiscales ciblées et une politique de santé "généreuse".

De l'autre côté?? Faire payer les riches, alourdir les impôts des grandes entreprises, taxer les profits pétroliers, les plus-values boursières, sanctionner les délocalisations, renégocier les accords de libre-échange dans l'Alena, prendre des mesures protectionnistes envers la Colombie, la Chine et l'Europe.

Qui peut arrêter cette administration démocrate responsable de la crise actuelle par le Community Reinvestment Act de 1977 (Jimmy Carter), aggravé par Bill Clinton, qui prétendait permettre au nom de la "solidarité sociale" l'accès à la propriété privée des logements sans considération de revenus?? Le Congrès?? Plus populiste encore. Le Sénat?? La minorité de blocage de quarante sénateurs républicains sur cent n'existe plus, quatre ou cinq sénateurs républicains sont sur les positions démocrates. Déjà, G. W. Bush avait échoué en 2003 en tentant d'annuler cet Act et en dénonçant le "out of control" de Fannie-Freddie. Face à la vague démagogique, demain ne sera pas un autre jour.

Tout cela pour rien?: cette manne étatique pour des secteurs en déclin n'empêchera pas la disparition de pans entiers de la vieille industrie. Elle retardera l'échéance, à un plus fort coût, en drames humains et en ressentiments. Charges bureaucratiques et redistribution élèveront le coût de l'Etat, exigeant davantage de ponctions par charges, impôts directs et taxes. Ainsi se mettra en place ce fameux cercle pervers propre aux Etats providence?: la faible croissance stimulant l'appel à l'Etat dont le gonflement, en retour, freinera la croissance. Quant au protectionnisme, il appellera le protectionnisme des concurrents, cassant le moteur de la croissance américaine, l'exportation.

Absence de détermination politique et militaire de Barack Obama?? Les ennemis lisent un signal de faiblesse. L'insécurité commence là?; il n'y aurait pas eu la crise de Cuba en 1962 qui menaça de se terminer en holocauste mondial, si J. F. Kennedy n'avait commis l'erreur de jouer le dandy hollywoodien qui tend la main.

Notre Europe est au c?ur de ce dérèglement obamanesque. Les Russes ont déjà réagi. Rejouant l'équilibre de la terreur auquel, depuis Ronald Reagan, les Etats-Unis avaient mis un terme, ils déploient leurs missiles à Kaliningrad, menacent l'Europe et exigent l'abandon du projet de bouclier américain antimissile. D'ores et déjà, les diplomaties de l'Est européen s'inquiètent, la Géorgie et l'Ukraine, surtout, s'effrayent, militairement menacées par Moscou, orphelines d'une grande puissance républicaine clairement protectrice.

Hors Afghanistan, c'est un dramatique recul. Aux démocrates cubains pourchassés, Barak Obama oppose des relations "normales" avec le tyran, qui l'a soutenu en retour. Aux démocrates sud-américains, il annonce des discussions avec Hugo Chavez, qui l'a soutenu. Aux démocrates irakiens attaqués par les islamistes, en passe de réussir l'incroyable pari de construire au c?ur du monde arabe et musulman une véritable démocratie pluraliste, il oppose des discours pacifistes.

Les Iraniens ne savent pas si, en cas de poursuite du programme nucléaire, ils seront "rayés de la carte" avec les islamistes et la population iranienne - annonce d'Hillary Clinton - ou s'ils seront sacrifiés sur l'autel des négociations annoncées. Dans ces conditions, quel allié peut être rassuré?? Je n'en connais aucun. Faut-il au moins saluer le recul de l'anti-américanisme via l'élection d'un "président noir"?? Recul momentané. Aurais-je d'ailleurs la cruauté de noter la myopie?? Le rêve de Martin Luther King, celui de tout humaniste, de ne plus voir la couleur de la peau en regardant un enfant, où est-il??

Laissons à l'Amérique son apprenti sorcier, son bâton de sorcier et ses chimères. "You can't"?? L'impuissance des illusions d'aujourd'hui annonce la puissance de l'expiation demain. Profitons-en. L'avenir de cette illusion?? Il s'appelle Europe. Le temps est venu pour l'Europe, première puissance économique du globe, de prendre la relève, de construire sa politique de défense et de devenir puissance hégémonique.