L'édito de la Tribune : Marx à la corbeille, acte II

Par Philippe Mabille  |   |  393  mots
Par Philippe Mabille, éditorialiste de La Tribune

"L'Etat ne peut pas tout». Lionel Jospin a payé cher la formule prononcée à l'automne 1999 dans la foulée de l'affaire Michelin. Le fabriquant de pneumatiques avait annoncé 7.500 suppressions d'emplois malgré des résultats semestriels en hausse. Et vu remonter sa cote boursière. Assimilée à un aveu d'impuissance publique, dans un climat empoisonné par des cas similaires (Danone, Moulinex), cette phrase avait choqué l'opinion et a certainement influencé Nicolas Sarkozy dans la définition de son interventionnisme tous azimuts.

Face à la crise, l'Etat a le devoir et le pouvoir d'agir, voilà ce que le président devrait donc redire demain devant les ouvriers de Renault Douai, en détaillant son plan de relance. Alors que l'emploi est redevenu la principale préoccupation des Français, l'enjeu est autant économique que politique, sur fond de montée de l'anticapitalisme. Après Arcelor-Mittal (9000 emplois), Renault (4900 emplois), PSA (3550 emplois), Sanofi-Aventis (927 emplois), les annonces de plans sociaux devraient s'accélérer début 2009. Et faire renaître la polémique sur les «licenciements boursiers». L'association des deux mots vise à dénoncer la fréquente augmentation du cours de l'action de l'entreprise qui allège sa masse salariale. De fait, le cours d'Arcelor-Mittal a fortement remonté depuis le 27 octobre.

Pourtant, ce concept bien commode de licenciement boursier ne résiste pas à une analyse sérieuse. Les gains boursiers réalisés à court terme à cette occasion sont le plus souvent effacés en quelques semaines, tout simplement parce que l'entreprise qui procède ainsi est rarement en bonne santé. La plupart du temps, les actionnaires sont perdants et les salariés gagnants à moyen-long terme. Dans «Le grand méchant marché, décryptage d'un fantasme français» (Flammarion, 2007), deux économistes, David Thesmar et Augustin Landier, ont démontré qu'entre 1998 et 2005, les actionnaires de Michelin n'ont touché que 8% par an quand la masse salariale progressait de 10%. C'est la dure loi de l'économie. Dans un monde concurrentiel, des licenciements préventifs sont parfois nécessaires pour assurer la survie de l'entreprise. La cour de Cassation l'a reconnu dans son arrêt du 11 janvier 2006 : la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise est un motif valable de licenciement économique. Et qu'on veuille ou non refonder le capitalisme, on ne connaît pas de modèle économique viable où la rentabilité du capital (des actionnaires) serait durablement inférieur à son coût.