Il est nécessaire de sauver les marchés émergents

Par Dani Rodrik, professeur d'économie politique à la John F.Kennedy School of Government de l'université Harvard.

Si le monde était juste, les marchés émergents regarderaient la crise depuis la ligne de touche. Car, ce n'était pas leurs excès qui avaient mis le feu aux poudres, mais ceux de Wall Street. Leur situation financière n'avait jamais été aussi bonne, grâce aux dures leçons apprises des crises de leur propre histoire. Or, aujourd'hui, ces marchés émergents subissent des convulsions financières, qui font craindre que leurs économies ne soient entraînées dans des crises plus graves.

Certains auraient dû sentir le vent et se protéger. L'Islande, par exemple, n'a aucune excuse, s'étant transformée en un fonds spéculatif à fort effet de levier. En Europe centrale et de l'Est, la Hongrie, l'Ukraine et les Etats baltes vivaient avec des comptes courants déficitaires et des entreprises et des ménages endettés en devises étrangères.

Mais les marchés n'ont pas fait de distinction entre ces pays et d'autres, comme le Mexique, le Brésil, la Corée du Sud, perçus comme des modèles. Prenons la Corée du Sud et le Brésil. Leurs économies ayant connu des crises monétaires, ils ont agi pour améliorer leur résilience financière. Ils ont réduit l'inflation, laissé flotter leur monnaie, obtenu des soldes extérieurs excédentaires, et accumulé d'énormes réserves de change. Le Brésil a été récompensé en avril dernier par l'octroi de la notation "investment grade" par l'agence Standard and Poor's (la Corée du Sud l'avait obtenue depuis des années). Mais, ces deux derniers mois, leurs monnaies ont perdu près de 25% de leur valeur face au dollar et leurs Bourses ont souffert. Pourtant, ils affichent une forte croissance économique.

En fait, ces deux pays et les autres émergents sont victimes d'une fuite rationnelle vers la sûreté, doublée d'une panique irrationnelle. Les garanties de soutien au secteur financier promises par les gouvernements des économies avancées ont distingué les actifs "sûrs" et "risqués". Or, les émergents appartiennent à la deuxième catégorie. Pire, ils ne disposent pas de l'instrument utilisé par les économies avancées pour contenir leurs paniques financières : les ressources fiscales ou les liquidités intérieures. Ils ont besoin de devises étrangères et donc, de soutien extérieur.

Aussi, le Fonds monétaire international (FMI) et les banques centrales du G7 doivent agir comme prêteurs de dernier ressort et fournir rapidement des liquidités à grande échelle pour soutenir les devises des émergents. Le montant des prêts nécessaires s'élèvera à plusieurs centaines de milliards de dollars, une somme supérieure aux opérations du FMI. Si nécessaire, le FMI peut même recourir aux droits de tirage spéciaux (DTS) pour dégager des liquidités au plan mondial.

En outre, la Chine, qui détient près de 2.000 milliards de dollars de réserves de change, doit participer à cette opération. Le dynamisme de son économie repose sur les exportations qui souffriraient d'un effondrement des marchés émergents. La Chine, qui a besoin d'une forte croissance pour contenir les troubles sociaux, pourrait être sévèrement touchée par une récession mondiale.

Leur intérêt bien compris devrait inciter les économies avancées à agir. La baisse des devises des émergents, et les pressions commerciales qui en résultent, feront grimper en flèche le taux de chômage. A défaut, le scénario apocalyptique d'un cercle vicieux protectionniste analogue à celui des années 1930 ne peut plus être écarté.

La Réserve fédérale américaine (Fed) et le FMI ont déjà pris des mesures. La Fed a mis sur pied un programme d'échange des devises de quatre pays (Corée du Sud, Brésil, Mexique et Singapour) contre des dollars, à hauteur de 30 milliards de dollars chacun. Le FMI a mis au point une nouvelle ligne de crédit à court terme pour intervenir auprès de pays qui jouissent d'une santé financière solide. Reste à savoir si ces mesures suffiront et ce qu'il adviendra des pays qui n'en bénéficieront pas.

Copyright : Project Syndicate, 2008.

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Commentaire 1
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Ce seront toujours les pays émergents à payer la plus importante partie de la facture de la crise, eux qui n'ont surement été les grands responsables de cette même crise. À eux de réagir aussi, par leurs atouts !

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