La transparence au chevet de la crise

Par Florent Bouyer, avocat (cabinet Debevoise & Plimpton)  |   |  867  mots
Par Florent Bouyer, avocat (cabinet Debevoise & Plimpton).

La crise a révélé un coupable idéal : le libéralisme. Egoïsmes devenus source de déséquilibres, professionnels avides de rendements à court terme supposés croître à l'infini, finance perdue dans des modèles inadaptés au monde "réel". Et si cette crise n'était pas liée aux méfaits supposés du libéralisme mais à l'insuffisance du respect d'un de ses principes fondateurs : la transparence ?

La transparence doit permettre aux investisseurs d'évaluer correctement toute décision en se fondant sur une information complète et partagée par tous, assurant un ensemble de prises de décisions rationnelles sur un marché donné. Revenons sur deux exemples de dysfonctionnement (notation financière, hedge funds) qui amènent à une même conclusion : la nécessaire transparence du marché pour permettre une analyse précise du risque.

Dans le cadre des opérations structurées "subprimes", les agences de notation ont joué un rôle clé dans l'allocation des actifs ainsi que dans leur découpage par tranches de notation dont le risque et la rémunération étaient fondés sur une évaluation des taux de défaut sur les crédits immobiliers. Elles ont en effet conseillé les émetteurs et validé les modèles d'évaluation des risques des actifs et des passifs en fonction de la notation souhaitée pour ensuite assurer l'octroi et le suivi de ladite notation (en théorie cette notation est cependant confiée à un autre département séparé de l'activité conseil par une "muraille de Chine").

Cette situation soulève deux problèmes au regard de l'impératif de transparence : l'impossibilité d'évaluer les CDO ("collaterised debt obligation") les plus complexes couplée à une confiance aveugle des investisseurs dans la seule notation financière. Si les agences de notation soulignent que leurs diligences ne constituent qu'un simple avis extérieur, il serait hypocrite de nier que leur jugement a pris un caractère quasi-officiel aux yeux des acteurs notamment en raison du rôle croissant de la notation financière dans les domaines réglementés (contrôle des normes prudentielles issues de Bâle II par exemple). L'information est donc brouillée.

Il convient de repenser la gouvernance des agences de notation (contrôle des risques de conflits d'intérêts et respect de leur nécessaire indépendance) et de mener une réflexion autour du nombre limité d'acteurs (voir en ce sens le projet de nouveau code de conduite de l'Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) ainsi que les pistes ouvertes à la suite de la réunion des ministres européens des Finances du 8 juillet 2008). Le contrôle ne doit cependant pas aller jusqu'à les transformer en agences publiques indépendantes. Cela aboutirait à donner un caractère normatif à la notation, soit une des sources des errances passées. La régulation doit se limiter à rétablir la véritable nature de l'information, à en assurer la crédibilité et la diffusion effective permettant de limiter les comportements irrationnels.

Le cas des "hedge funds" est également symbolique. Les hedge funds sont des fonds d'investissement non cotés recherchant des rentabilités élevées. Contrairement à l'idée reçue selon laquelle ces structures sont des "prédateurs", ils participent en théorie au fonctionnement des marchés en participant notamment à l'animation des échanges de produits de titrisation ou à la liquidité des marchés boursiers. Actuellement, la réglementation applicable aux hedge funds combine une régulation indirecte (visant leurs contreparties et leurs créanciers qui sont presque tous des entités régulées) et des standards professionnels de bonne conduite. La souplesse de ce cadre réglementaire a été largement critiquée, notamment en raison d'effets de levier excessifs, d'opacité des stratégies ou des engagements.

Les pistes envisagées ont comme point commun une plus grande transparence notamment à travers un reporting aux prime brokers et au marché. Ces informations permettraient notamment aux banques de renforcer leurs systèmes internes de gestion des risques et de mieux maîtriser leur exposition à la fois sur un hedge fund donné mais également vis-à-vis du marché notamment à travers des "stress tests" (suivant des hypothèses variables telles qu'une absence de liquidité ou la faillite d'une contrepartie) plus complets. Parallèlement, chaque régulateur pourrait contrôler plus facilement le respect des ratios prudentiels tels que mis en place dans le cadre du dispositif Bâle II. Ce dernier point révèle le corollaire indispensable de cette démarche : la coopération internationale afin notamment d'éviter tout biais concurrentiel.

En 1714, Mandeville publia "la Fable des Abeilles", allégorie sociale théorisant l'utilité des égoïsmes. Si nous partons du postulat (théorique heureusement) que la société actuelle est organisée comme la ruche de Mandeville, que s'est-il passé ? Imaginons que les abeilles perdent tout sens nécessaire pour se diriger : le chaos. Imaginons également que l'information disponible sur les marchés soit au mieux illisible au pire ignorée : le chaos. La régulation doit être considérée comme un outil indissociable du bon fonctionnement des règles de marché et ainsi permettre aux abeilles de retravailler pour la ruche...