L'édito de La Tribune : Angela, gardienne du temple

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Par Valérie Segond, éditorialiste à La Tribune.

Le couple franco-allemand bat de l'aile : il a des doutes, des mots, et tant de reproches à se faire que, à chaque fois qu'il se montre en public, ça jase ! Faut-il s'en inquiéter, alors que le travail commun de Nicolas Sarkozy et d'Angela Merkel depuis dix-huit mois avait permis à l'Europe de sortir de sa paralysie, et pour tout dire de son silence ? Chacun sait que les courts-circuits épidermiques entre chefs d'Etat cachent toujours plus que de simples incompatibilités d'humeur.

Cette fois, ce sont bien deux visions de l'Europe qui s'affrontent. Sur son fonctionnement d'abord. L'extrême rapidité de décision du président français de l'Union, sa production permanente de solutions à chaque nouveau problème ont fini par agacer des Allemands très attachés à la négociation, au temps du consensus, celui qui permet de faire émerger une vision cohérente bâtie sur l'accord de tous. Si le modus operandi de Nicolas Sarkozy s'accorde mal aux compétences et règles d'une Union à vingt-sept, comme à la diversité de ses visions, il a surtout réveillé un soupçon tenace en Allemagne : celui que la France n'utilise la gravité de la crise pour pousser sa propre vision d'une autre économie européenne. Vision où l'Etat se montre à la fois plus interventionniste et plus protectionniste, ne craignant pas de sacrifier la dynamique de la concurrence et de l'ouverture sur le monde pour faire rempart aux méfaits de la mondialisation.

L'"Europe qui protège", en somme. Or, après des années de rigueur supportées par les salariés allemands, l'Allemagne ne pouvait fermer les yeux sur le dérapage des dépenses publiques dans une gouvernance européenne mal définie. Aussi a-t-elle systématiquement rejeté tous les projets de fonds européen, pour le sauvetage des banques, la défense du capital des entreprises en difficulté et le soutien de l'activité.

S'est-elle ainsi révélée sous les traits d'une nation égoïste, d'une mauvaise européenne mettant à mal la puissance de l'Union ? Pas sûr. Car en tenant fermement cette position, elle a réaffirmé qu'elle n'était prête à sacrifier aucun des principes fondateurs de l'Union et de l'euro pour sortir de la crise financière.

Pas question pour ce grand pays de laisser tomber l'ouverture des frontières, l'économie de marché, le contrôle des dépenses publiques et l'indépendance de la Banque centrale européenne. Au moment où la France semble oublier ce qui a permis de préserver la stabilité de l'économie européenne, l'Allemagne se pose en gardien du temple. Et de cela, il faut la féliciter.