L'automobile américaine prise à son propre piège

Pour convaincre le Congrès de ne pas alourdir les contraintes en matière de consommation de carburant, les "Big Three" ont dépensé leur argent en lobbying plutôt qu'en recherche technologique. Ils demandent aujourd'hui de l'aide publique pour échapper à la faillite, relève Lysiane J. Baudu, journaliste au service international de La Tribune.

Venus le 2 décembre demander de l'aide au Congrès, les dirigeants des trois grands constructeurs automobiles de Detroit n'avaient rien laissé au hasard. Critiqués pour avoir utilisé leur jet privé lors d'une première audition, ils sont cette fois-ci arrivés au volant des voitures les moins gourmandes en carburant... Pendant six heures de plaidoyer pro domo, ils ont battu leur coulpe. "Nous sommes ici devant vous parce que nous avons commis des erreurs ? dont nous avons tiré les leçons ?, et parce que des forces en dehors de notre contrôle nous ont poussés au bord du précipice", a déclaré Rick Wagoner, le patron de General Motors.

Selon les patrons des "Big Three", c'est parce que l'économie, ces dernières années, était à son zénith que les clients, les poches pleines en raison de la bulle immobilière et boursière, souhaitaient de grosses voitures. Pas question de le décevoir, donc, avec des véhicules plus petits et moins voraces en énergie, comme ceux proposés par les constructeurs japonais qui ont grignoté de belles parts de marché.

Signe que les consommateurs avaient changé, sans que Detroit s'en aperçoive. Les constructeurs américains préfèrent ne pas donner de détails sur leurs "erreurs". C'est bien là tout le problème. Non seulement ils ont failli dans leur analyse du marché, sur fond de hausse du prix du pétrole, mais, en plus, ils ont tout fait, année après année, pour faire dérailler les efforts visant à diminuer la consommation d'essence de leurs véhicules. Et les voici aujourd'hui pris à leur propre piège.

Dans le sillage du premier choc pétrolier, en 1975, le Congrès avait adopté un dispositif visant à diminuer la consommation d'essence, dans le but évident de s'affranchir ? déjà ! ? de la dépendance au pétrole de l'Opep. Une échelle qu'il aurait fallu périodiquement actualiser, en fonction des développements technologiques dans l'automobile. Mais, à chaque fois que les élus se sont penchés sur la question, les constructeurs sont intervenus pour faire échouer les tentatives de diminution de consommation d'essence.

Tandis que les constructeurs étrangers investissent dans la recherche sur des moteurs plus efficaces, les "Big Three" continuent de miser sur des grosses cylindrées. La raison ? Elles échappent en partie aux contraintes édictées par le Congrès pour les véhicules de tourisme. Pis, ils engloutissent des fortunes en lobbying auprès des élus, afin de les convaincre de refuser tout changement à l'avenir. Entre 2002 et 2007, ils ont réussi à faire échouer plusieurs tentatives de renforcement législatif sur la consommation d'essence.

Leur plus gros succès date de 2005. Cette année-là, une majorité d'élus acceptent une fois de plus les arguments de Detroit selon lesquels les constructeurs américains n'ont pas la technologie nécessaire pour répondre à une augmentation des contraintes en matière d'efficacité énergétique des moteurs. Et pour cause, ils n'ont pas réellement cherché à la développer !

Pour convaincre Washington, ils utilisent tous les moyens possibles : des publicités dans les radios et les journaux, et jusqu'à des éponges, estampillées "voitures propres", distribuées en abondance aux membres du Congrès, afin de valider l'argument selon lequel leurs véhicules sont désormais 99% plus propres que dans le passé. Ils insinuent même que la sécurité des citoyens américains est en jeu : s'ils doivent acheter des voitures plus petites, ils risquent de mourir dans un accident de la route face aux SUV, énormes 4×4 !

Les constructeurs américains ne se privent pas non plus de critiquer les voitures hybrides, telle la Toyota Prius. Et ils contribuent largement aux campagnes électorales, en particulier dans les États où sont présentes des usines d'assemblage. Le Michigan, où se situe Detroit, est tout désigné. D'autant qu'un de ses représentants, John Dingell, est par ailleurs président de la commission à l'Energie et au Commerce de la Chambre. Alors qu'en 2007 le Congrès débat de nouveau sur les économies d'énergie dans le secteur automobile, les constructeurs de Detroit dépensent plus de 70 millions de dollars (20% de plus qu'en 2006) en efforts de séduction vis-à-vis des élus ? un record.

General Motors verse ainsi plus de 14 millions de dollars, faisant de la firme la cinquième entreprise la plus généreuse dans le domaine, derrière General Electric, ExxonMobil, AT&T et Amgen. Sur la période 2001-2006, l'industrie automobile américaine a dépensé 380 millions de dollars en lobbying et 80 millions supplémentaires en contributions pour les campagnes électorales.

Même les syndicats se sont mis de la partie: l'United Autoworkers Union a ainsi dépensé sur la même période un total de 17,2 millions de dollars pour contrer les efforts en matière de voiture plus propre et versé 23 millions dans les coffres de certains élus, démocrates en particulier. La hausse du prix du pétrole (+60% en 2007) met à mal leurs efforts: le Congrès finit par adopter un nouveau dispositif, en janvier 2008. Il augmente de 40% les contraintes en matière d'efficacité énergétique pour les voitures et les camions légers, les "light trucks".

Entre-temps, Detroit s'est également battu contre la Californie, initiatrice d'un projet visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Toujours grâce à leur lobbying, les constructeurs réussissent à faire en sorte que l'Agence de protection de l'environnement refuse de donner son feu vert à ce projet pour l'automobile, pourtant responsable d'une large part des émissions, le jour même où le président Bush signait le fameux texte de loi augmentant les contraintes sur l'efficacité énergétique des véhicules.

Reste que cette fuite en avant a provoqué une déconfiture sans précédent dans l'automobile américaine. Résultat, dans un premier temps, les "Big Three" demandent 25 milliards de dollars au Congrès, afin de mettre leurs usines à niveau et de produire des moteurs plus efficaces. Et dans un deuxième, quelque 34 milliards de dollars, cette fois-ci afin ne pas faire faillite. Et sur fond de forte dégradation du marché de l'emploi, ils sont en passe d'obtenir un premier soutien du Congrès.

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Commentaires 4
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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bravo tres bon article merci pour votre bonne explication claire et documentée

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Pourquoi sauver ces trois entreprises qui ont tout fait pour continuer à empoisoner les gens avec leurs moteurs polluants ? Il est grand temps qu'ils paient pour leurs crimes, n'ayons pas peur des mots s'agissant de santé publique !

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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bon article basé sur une bonne idée mais ça aurait été un plus de faire une comparaison des consommations d'essence des modèles vedette US avec leurs homologues étrangers. Et puis une bibliographie ou un lien internet en plus, ça aurait été pratique.

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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pauvre 6toyen, tu n' as vraiment pas le sens de la mesure. Et au fait, tu roules en quoi ? En peugeot 205 mazout non ?

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