Arrêtons d'imaginer le pire

Par Jacques-Henri David, président du groupe Deutsche Bank en France  |   |  693  mots
Par Jacques-Henri David, président du groupe Deutsche Bank en France.

Oui, on peut arrêter la machine à détruire de la valeur. Oui, on peut arrêter le cercle vicieux de la récession. Oui, on peut renverser la spirale destructrice de la défiance et de l'inquiétude. L'économie mondiale est en crise, certes, mais ce n'est pas un naufrage. La croissance va être nulle ou légèrement négative pendant quelques trimestres. La richesse mondiale va stagner, voire régresser quelque peu pendant douze à dix-huit mois. C'est évidemment une rupture par rapport aux années passées mais ce n'est pas un cataclysme.

Bien sûr, face à l'avalanche de nouvelles alarmistes, nous adoptons des comportements précautionneux, qui eux-mêmes accentuent la crise à court terme. C'est particulièrement net sur le marché de l'automobile, où face aux incertitudes les décisions d'achats sont reportées et où les ventes de voitures s'effondrent d'un seul coup, avec un effet d'annonce catastrophique. Mais il faut se garder d'extrapoler un tel effondrement, pour partie cyclique. Le phénomène va se corriger avec le temps, même s'il est probable que l'on ne retrouvera pas les records de ventes de ces dernières années.

Dans les mois qui viennent, les consommateurs prendront aussi conscience que leurs revenus n'ont pas chuté autant qu'ils le craignaient. Ils renoueront progressivement avec la consommation et permettront à la machine économique de retrouver un équilibre tenable dans la durée, même s'il se situe à un niveau inférieur à celui qui prévalait avant la crise.

Le secteur bancaire et financier lui aussi devrait entrer bientôt en convalescence. Il a certes frôlé la rupture d'anévrisme au moment de la chute de Lehman Brothers, mais tout le monde a depuis compris qu'il fallait à tout prix éviter le risque systémique que provoquerait une grande faillite bancaire. Il n'y aura pas d'autre Lehman. Les gouvernements feront tout pour assurer la continuité des activités des grands établissements bancaires nationaux et internationaux, y compris par voie de nationalisations, s'il le faut, comme cela a déjà été le cas dans certains pays.

Par ailleurs, même si l'on ne peut être sûr que les 1.000 milliards de dollars de provisions déjà passés par le secteur bancaire et financier depuis dix-huit mois seront suffisants pour éponger les excès du passé, il est certain que les interventions massives en fonds propres et en garanties des pouvoirs publics, partout dans le monde, commencent à faire sentir leur effet. Les conditions d'exploitation bancaire s'assainissent progressivement, avec un renforcement du contrôle des risques, une plus grande visibilité, une plus grande transparence des opérations, une meilleure tarification du risque, une normalisation aussi de la structure des taux d'intérêt, avec des taux longs sensiblement plus élevés que les taux courts ; sans parler de la réduction drastique des charges d'exploitation, notamment dans la banque d'investissement. Tout cela devrait contribuer au rétablissement progressif d'un comportement bancaire plus normal.

Autre source de croissance, les pays émergents, comme la Chine ou les pays du Golfe, qui ont accumulé des réserves importantes, et qui lancent des politiques de grands travaux, indispensables à leur développement futur. D'autres évolutions contribueront à rééquilibrer nos économies. Les prix du pétrole et des matières premières sont revenus à leur niveau d'avant crise. De même, les taux d'intérêt ont baissé en Europe et les taux monétaires baisseront encore avec la disparition des risques inflationnistes immédiats. Autant de prélèvements en moins sur nos économies et de pouvoir d'achat en plus pour les entreprises et les consommateurs.

Nous n'avons pas de raison objective aujourd'hui d'imaginer le pire. D'autant que la volonté politique affirmée par le G20 de Washington est là pour consolider la finance, restaurer la confiance dans ses acteurs et son fonctionnement et mettre en ?uvre des plans de relance et de soutien à l'activité, en évitant les surenchères protectionnistes. Méfions-nous des Cassandre qui, hier encore, ne voyaient aucune limite à la croissance et rappelons-nous les propos de Roosevelt lors de sa prise de fonction en 1933 : "the only thing we have to fear is fear itself".