De la «rupture» à la relance ou les déboires des Sarkonomics

La crise financière internationale a contraint le président français à changer de politique économique. La «rupture» initialement prônée a laissé place à une intervention de l'État à l'enseigne de Keynes sous la forme d'un plan de relance en trompe l'œil. Car les mesures annoncées ne concernent que certains secteurs et restent partielles pour permettre un véritable redémarrage de l'économie française.

La «Sarkonomics» devait être une «rupture», déclinant, en version néo-conservatrice, les lignes directrices de la stratégie de Lisbonne selon le principe de subsidiarité. La crise financière est venue bouleverser la donne. En Europe comme aux États-Unis, l'intervention des banques centrales et de l'État a été nécessaire pour éteindre l'incendie financier. Elle a miraculeusement ressuscité les politiques keynésiennes d'expansion monétaire et de relance budgétaire, que la stratégie de Lisbonne voulait enterrer. Dans l'Hexagone, Henri Guaino se délecte à nouveau de faire vibrer la fibre gaulliste d'une France volontariste face à la faillite du capitalisme financier. L'Europe est à la croisée du chemin. L'amorce d'un virage économique, pris dans l'urgence au cours de la présidence française du Conseil européen, est évidente.

Le discours du 4 décembre, présentant le plan de relance français, incarne un virage net vis-à-vis des politiques néolibérales que Nicolas Sarkozy a lui-même contribué à promouvoir depuis quinze ans. Il est agrémenté de patriotisme économique et de pics, en faveur des aides d'État, contre la commissaire européenne à la concurrence. Le plan de 26 milliards, étalé sur deux ans, est toutefois timoré. La dépense envisagée pour l'année 2009 se limite à 15,2 milliards d'euros. 11 milliards sont des avances en trésorerie aux entreprises, anticipant des remboursements de TVA, d'acomptes sur l'impôt sur les sociétés et de crédits d'impôt recherche auxquels le gouvernement devait procéder plus tard. 2,5 autres milliards d'avances en trésorerie sont octroyés aux collectivités locales qui réalisent une grande partie des investissements publics. Elles n'engagent pas de dépenses nouvelles susceptibles d'entraîner un effet multiplicateur. Les mesures de relance se limitent en fait à 5,5 milliards d'euros. 4 milliards sont destinés à de nouveaux «grands travaux» en tant que tels. Parmi eux, seul 1,4 milliard sert à moderniser les infrastructures hospitalières, routières, ferroviaires et judiciaires, 700 millions sont consacrés aux universités. 1,8 milliard est octroyé à des dépenses militaires. Le reste se répartit en mesures favorables à certains lobbies patronaux. Il s'agit de mesures de soutien au secteur automobile (220 millions pour la prime à la casse et seulement 350 millions pour la mise en chantier de la voiture «propre»), au BTP et de nouveaux allégements fiscaux dont le coût s'élève à 3 milliards (exonérations de cotisations sociales dans les entreprises de moins de dix salariés, dégrèvement de taxe professionnelle pour l'investissement, suppression de l'impôt forfaitaire acquitté par les entreprises).

À côté des mesures censées relancer l'investissement, à l'exception de la prime de Noël de 200 euros versées aux allocataires de minima sociaux (et dont le coût ne dépasse pas 760 millions d'euros), aucune mesure de soutien à la consommation n'est prise (alors que 75 % du PIB est écoulé sur le marché intérieur). Le « paquet fiscal » est réputé suffisant pour produire un tel effet... La baisse de la TVA à la Gordon Brown est écartée.

Malgré un keynésianisme apparemment ressuscité, la France n'engage pour l'heure que des mesures de relance sectorielles et partielles. Elle se refuse à entrer dans le capital des banques qu'elle a recapitalisées. Alors que l'accès au crédit se durcit, cette entrée permettrait pourtant d'infléchir la politique de crédit dans un sens plus expansionniste et de rétablir la confiance en un système bancaire aux bilans dégradés. «L'ouverture à la concurrence» des secteurs de l'énergie, des transports et de la poste se poursuit à mauvais escient. Le «fonds souverain» (habillage sémantique de la traditionnelle nationalisation), constitué en guise de retour de la politique industrielle, se contente de capitaliser quelques PME.

Après avoir été l'apôtre du néolibéralisme, de la privatisation et de la dérégulation des marchés, le président de la République fait désormais, sans vergogne, l'apologie de la politique industrielle et du protectionnisme (les aides au secteur automobile sont conditionnées à la non-délocalisation de la production). Pour autant, en appuyant timidement d'un pied sur l'accélérateur de la relance, mais en freinant fortement de l'autre par la poursuite des «réformes structurelles», la voiture France risque le surplace, d'autant plus que l'autre locomotive européenne, l'Allemagne, est à l'arrêt. Elle persévère plus que jamais dans l'erreur d'une politique de désinflation compétitive, qui avait cassé sa demande intérieure et entraîné l'Europe entière dans la déflation salariale et la récession, avant même que la crise financière n'ait produit ses effets sur la contraction du crédit. La social-démocratie européenne est, quant à elle, tentée de persévérer dans une stratégie sociale-libérale, cherchant à réguler, sans succès, le capitalisme financier et à rendre acceptables, avec peine, ses inégalités intrinsèques. Cette stratégie l'a conduite à l'échec dans tous les scrutins récents. Outre-Manche, le Premier ministre issu du New Labour, Gordon Brown, l'a tellement bien compris qu'il a convoqué les fondamentaux de l'interventionnisme public que sont la nationalisation et la redistribution, soudain redevenus modernes, pour sortir des impasses du capitalisme financier.

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Commentaires 2
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Excellente analyse. Rupture et relance sont contradictoires. La poursuite des réformes ultralibérales (la rupture) noircit les anticipations rationnelles des agents économiques visés (la sphère publique et les Français qui vivent de leur seul trava...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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A suivre ce genre de recommandations les pays occidentaux finiront comme l'Union Soviétique.

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