Une révolution (presque) tranquille dans les universités

Par Jean-Marc Schlenker, mathématicien, professeur à l'université Toulouse III.

La recherche universitaire française est en pleine révolution. 2006 a vu la création de l'Agence nationale de la recherche (ANR), chargée du financement de la recherche sur projets, et de l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres), qui doit évaluer les équipes et les organismes de recherche. 2007 a été l'année de la loi sur les libertés et responsabilités des universités (LRU), qui réforme leur gouvernance et les dote d'une large autonomie. Un décret actuellement en préparation doit apporter une flexibilité nouvelle au statut des enseignants-chercheurs, par la mise en place de primes et de modulations des charges d'enseignement.

Ces transformations complémentaires sont nécessaires au dynamisme de la recherche française, et ainsi à la qualité de l'enseignement supérieur et à terme à l'efficacité des entreprises. L'ANR donne aux équipes dynamiques, en particulier de jeunes chercheurs, les moyens de fonctionner en toute autonomie, une fois leur projet évalué et accepté. L'Aeres doit permettre une évaluation objective, qui encourage les chercheurs à viser l'excellence et aide les établissements à diriger leurs moyens vers leurs meilleures équipes. L'autonomie des universités peut, en principe du moins, être un facteur de diversité et d'efficacité, si leurs choix scientifiques sont judicieux.

La flexibilité plus grande du statut d'enseignant-chercheur paraît être une mesure de bon sens, conduisant à une meilleure économie des talents et à un système globalement plus efficace et surtout plus incitatif. Actuellement, la charge d'enseignement demandée à chacun est exactement la même, quelle que soit la qualité (ou l'absence) de son activité de recherche et de ses responsabilités administratives. Certains sont très sous-employés, alors que les chercheurs les plus actifs sont souvent surmenés. Cette modulation est pourtant un véritable serpent de mer : déjà prévue dans les versions préliminaires du décret promulgué en 1984 fixant le statut des enseignants-chercheurs, elle en avait été retirée devant l'opposition d'organisations syndicales.

Le plus étonnant est d'ailleurs la relative faiblesse des oppositions à ces réformes radicales : ni grève massive, ni blocage des campus. Les principaux syndicats affichent leur désapprobation, mais leurs actions sont discrètes au vu de l'ampleur des réformes. Cette tiédeur peut s'expliquer par l'habileté négociatrice de Valérie Pécresse. Mais elle souligne aussi une faiblesse inquiétante du nouveau système. Pour rendre acceptable la loi LRU, ses concepteurs ont renoncé à modifier profondément le mode de nomination des conseils dirigeant les universités, élus par les employés et des étudiants (plus des membres extérieurs choisis par les élus) et qui élisent les présidents. Les syndicats seront ainsi dans certaines universités - même s'ils évitent de l'avouer - les grands gagnants de la réforme : leur pouvoir local sera décuplé par la nouvelle autonomie des établissements.

Cette conjonction d'un financement entièrement public et d'une complète autogestion paraît dangereuse. Elle est à l'opposé des exemples habituels pour l'autonomie des universités, par exemple aux Etats-Unis : les universités y sont soit publiques, et leurs conseils dirigeants sont alors nommés par les Etats qui les financent, soit privées, et leurs dirigeants sont cooptés. La place des conseils élus est limitée à des "sénats académiques" essentiellement ouverts aux professeurs. Pour fonctionner conformément à l'intérêt général (et non à celui de leurs employés), les universités autonomes devront être soumises à une pression constante dont la forme précise n'est pas encore apparente.

Une autre limite des réformes en cours est de s'appliquer surtout aux universités et, dans une certaine mesure, au CNRS, beaucoup moins à d'autres acteurs : les nombreux organismes de recherche et les "grandes écoles" où se trouvent souvent les meilleurs étudiants. La visibilité internationale de la recherche menée dans les organismes est très variable, et celle des grandes écoles souvent faible (malgré quelques exceptions marquantes, comme l'Ecole polytechnique et les Ecoles normales supérieures). L'amélioration de la recherche française, et de son utilité économique à travers l'enseignement supérieur, devront passer aussi par la réforme de certains organismes de recherche, et de celle des grandes écoles qui se sont éloignées des standards académiques internationaux.

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Commentaires 3
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Une très bonne analyse. Quant à la nomination des conseils dirigeants la démarche sera la même que pour les autres réformes en cours : on fait d'abord passer les mesures générales en conservant la neutralité des opposants en leurs laissant des avanta...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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difficile à croire qu'un universitaire ait pu écrire cet article; les mathématiques, pourtant science fondamentale, assécheraient-ils la réflexion et l'esprit critique ? Il y aurait beaucoup trop de choses à dire sur cet article qui explique peu sino...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Merci à Gérard pour sa remarque, c'est une analyse qu'on peut suivre... Quant au post de Scarlet, au-delà des invectives, je n'y trouve aucun argument. Je ne vois pas du tout pourquoi la réforme en cours mènerait à délaisser la recherche fondamental...

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